Some Cities
7.2
Some Cities

Album de Doves (2005)

Les trois Mancuniens de Doves ont de bonnes têtes : des types sympas avec qui on pourrait discuter de pop californienne ou de rock indé eighties, des types sur qui on pourrait compter. Et effectivement, on peut compter sur Doves. Depuis leur premier album Lost Souls, en 2000, on peut compter sur eux pour écrire une musique ambitieuse, attachante et intelligente. Some Cities, leur troisième album, est parfaitement dans la lignée de son prédécesseur The Last Broadcast : un album de pop anglaise hors du temps et des modes, avec des ballades sombres sans être geignardes, des instruments qui ne cèdent jamais à la facilité lacrymale d'un piano comme chez pas mal de leurs contemporains. Les genres se rencontrent et se télescopent, les percussions sont les bienvenues aux côtés de claviers enivrés, l'éclaircie pop arrive après le déluge de violons et le tout forme des chansons atmosphériques, puissantes et subtiles. Ces trois musiciens à part dans le paysage pop britannique ? ni branchés ni charismatiques, plus tout jeunes et pourtant populaires ? paraissent être arrivés au meilleur de leur capacité d'écriture. Leur musique impressionne autant par son aboutissement, sa justesse dans le moindre détail, qu'elle émeut par la force des mélodies et des ambiances. (Inrocks)


Dans l'Histoire du rock britannique, chaque artiste a toujours eu la gueule de son emploi. Des Rolling Stones, gouaille aux lèvres et clope au bec, à Maxïmo Park, incarnation snob de la revanche du prolétariat, la liste est infinie. Mais il est une cité du Nord de l'Angleterre où l'on ne s'est jamais conformé à cette règle élémentaire. Où les plus renversantes mélodies, les morceaux les plus ravageurs, les oeuvres les plus romantiques sont nées de types mal rasés en tatanes, de soiffards drogués, parfois complètement décérébrés, loin de toute sophistication apparente. J'ai nommé Manchester et ses Happy Mondays, New Order ou... Doves. Trois garçons absolument pas dans le vent qui font souffler un air glacé mais vivifiant sur le rock depuis la sortie de leur premier album, Lost Souls, il y a déjà cinq ans. Les clichés ne valent certainement rien, mais l'analogie du diamant taillé dans le charbon brûle quand même sacrément les lèvres à l'égard de ce trio formé d'un chanteur bourru et d'une paire de jumeaux, où l'un semble aussi angélique que l'autre halluciné, nés dans la ville la plus glauque du pays. Et donc celle où il est le plus nécessaire de s'en remettre d'une manière ou d'une autre à la musique pour se sentir vivre. C'est ce souffle même qui élève chez eux la noirceur du quotidien, le sublime en un espoir romantique, donc irrémédiablement voué à l'échec, mais traversé d'une passion qui valait la peine d'être vécue. Cette sensation de malédiction pèse depuis toujours sur les albums estampillés Goodwin-Williams, le dernier en date, Some Cities, ne faisant absolument pas exception. Bien au contraire. Plus sombre et fantomatique que jamais, il nous perd dans ses constructions labyrinthiques, de portes dérobées en (chausse-)trappes qui empêchent de vraiment savoir ce vers quoi l'on se dirige mais rendent le voyage encore plus palpitant. Tout juste une lumière fugitive apparaît-elle, bien vite fondue au noir dans le paysage désertique et ô combien grisant de ces chansons ouatées. Plus déroutés que jamais, on s'en remet à quelques repères familiers, les incursions d'instruments décalés (guitare hawaïenne, glockenspiel, Mellotron), des choeurs tantôt nasillards, criants ou étouffés comme autant de messages de l'au-delà, la voix ferrugineuse de Jimi Goodwin, plus complexe que jamais, entamée par la disparition de sa mère qu'évoque pudiquement Andy dans Shadows Of Salford. La route est longue, barrée de contresens et double sens, dans cette Black And White Town où l'on scelle à la fois un pacte entre soul blanche et noire, ici bien redevable à Martha Reeves & The Vandellas, et vibrantes ambiances bichromes, cinématographiques (The Storm). Les spectres ne sont pas seulement d'ordre affectif mais aussi culturel puisque l'on croise ici les grands frères des Stone Roses sur le fil du rasoir (Almost Forgot Myself) et les cousins d'Amérique The Flaming Lips, venus embras(s)er le neigeux Snowden. Mais si l'on devait trouver une maternité à Doves, ce serait Mélancolie elle-même, déesse exigeante, nichée dans l'antichambre de la vie et la mort, qui envoie en apesanteur ces hymnes exaltés au bonheur d'être triste. Ses trois enfants naturels sur Terre, Jimi, Jez et Andy, pourraient bien être à ce titre des demi-Dieux. (Magic)
bisca
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le 22 mars 2022

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