Songs Of Leonard Cohen est un des albums les plus étranges et mystérieux qu'il m'ait été donné d'écouter. Je n'ai jamais eu autant de mal à comprendre et à assimiler un album avant de pouvoir en récolter les fruits et d'en saisir la richesse inépuisable. La musique agit ainsi comme une sorte de filtre mystique, impénétrable, dépeignant un univers sombre, monotone, austère, pour finir par se révéler, dévoiler ses nuances, ses subtilités, son magnétisme envoutant, tétanisant, ineffable.

Songs Of Leonard Cohen fait partie des rares disques qui ne s'expliquent pas par les mots, qui s'échappent, fuient, et imposent leur présence, leur existence, représentant l'expression artistique la plus pure, créant et vivant à travers ses propres codes. La musique fascine d'autant plus qu'elle semble anodine, dans un registre folk minimaliste, où les arpèges de guitare acoustique composent la plupart des chansons, Leonard Cohen se contentant de déclamer ses textes de manière imperturbable. Une austérité, un ascétisme qui rend l'univers de l'artiste peu accueillant.

Mais plus que jamais la musique de Leonard Cohen se mérite, elle ne fait aucune concession et conserve ainsi une intégrité et un détachement qui lui confèrent sincérité et force. En fait c'est justement dans son économie d'effet et dans le chant si singulier de Leonard Cohen que se situe l'étrange pouvoir que possède la musique, le pouvoir de l'humilité, de la justesse, qui touche à l'essence, à l'absolu, au plus profond de nous. Il m'est décidément impossible d'expliquer la manière dont cette musique me touche et ce qu'elle représente pour moi, elle m'est tout simplement essentielle.

Malgré le dépouillement de l'instrumentation, les chansons se font lyriques et épiques par la magie d'un enchaînement d'accords si évidents qu'ils ne peuvent être que l'expression d'un génie à l'état pur. Et si Leonard Cohen, par son timbre monocorde, pousse à peine les mélodies, celles-ci se révèlent sublimes à en pleurer, et c'est en vérité la retenue du chant qui les fait briller, et leur insuffle une mélancolie d'une profondeur insondable.

Le calme et l'ascétisme de la musique se diffusent et sèment dans notre esprit l'essence de la sagesse, de l'harmonie, sous la forme d'une paix intérieure, d'une paix de l'âme où les tourments les plus puissants se résument à la sobre mais ferme résolution de l'interprétation. Aucune violence, aucune rage, aucun démon apparent : une simple résignation qui dépeint un autre monde, partout, ailleurs, mythologique, et capturant le grand tout, dans son infinie grandeur et son absolue futilité.

Les chansons expriment tant avec si peu. Le disque contient ainsi quelques-unes des plus belles chansons qui aient été écrites : Suzanne, les déchirantes Master Song et The Stranger Song, le désespoir de Hey, That's No Way To Say Goodbye, la désenchantée Sisters Of Mercy, l'élégiaque So, Long Marianne, et le final tétanisant One Of Us Cannot Be Wrong.

A la première écoute, on a le sentiment d'écouter la même chanson d'un bout à l'autre du disque, tant l'atmosphère ne change pas, mais avec le temps, les subtilités de la musique finissent par transparaître, et l'aridité se transforme en mélodies transperçantes, et chaque chanson devient essentielle, magique, d'une richesse inépuisable. Je ne sais vraiment pas comment définir Songs Of Leonard Cohen, j'en ai déjà bien trop dit, sans rien dire.

En fait, je n'avais même pas envie d'en dire quoi que ce soit car la musique se résume à elle seule, et ce qu'elle dégage, cette sorte d'absolu transcendant, se contient en lui-même. En tout cas, Songs Of Leonard Cohen est le seul album qui me fasse ressentir cela, et s'il ne devait rester qu'un seul disque, ce serait sans doute celui-là. On y trouve toutes les émotions que la musique peut transmettre, chaque seconde résonne en nous quel que soit l'état dans lequel on se trouve, avec une consonance à chaque fois différente.

C'est le disque idéal pour s'enfoncer plus bas que terre, sublimer sa médiocre mélancolie, s'anéantir complètement, pour se raccrocher, retrouver la foi, reprendre espoir, ou apaiser sa conscience, avoir l'impression d'atteindre l'harmonie et faire la paix avec soi-même. Et cela ne change pas, malgré les écoutes incessantes. Songs Of Leonard Cohen est le seul et unique disque sur lequel le temps n'a, absolument, aucune prise. Ce n'est pas une manière de parler, ou une expression toute faite, c'est l'indéniable vérité.
benton
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le 8 juin 2012

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