Mere drop of water, let the ocean pass !
Le moins que l'on puisse dire c'est que Alice Cooper avait jeté un froid avec son "Flush the Fashion '80", 1 an plus tard, il persiste et signe, incarnant ce nouveau personnage squelettique, mi geisha bon marché, mi vétéran bardé de médailles. Certains ont leur trilogie berlinoise, Alice Cooper lui, a sa trilogie du "Blackout" c'est à dire les trois "Special Forces", "Zipper Catches Skin" et "DaDa", trois album qu'il aurait, dit-il, enregistrés sans en avoir gardé le moindre souvenir en raison de son état alcoolisé permanent à cette époque. Comme pour "Flush the Fashion", les fans ont râlé, malgré un retour vers un son plus rock. Le nouveau groupe constitué pour l'occasion ressemble à une bande de soudards morts-vivants menés sabre au clair par leur leader décharné. On peut les admirer dans la vidéo "Alice in Paris" pas trop difficile à trouver sur internet si on est un peu curieux et découvrir ainsi ce à quoi tout ce petit monde ressemblait. C'est plutôt amusant et encore une fois on imagine très bien un petit Marilyn Manson prendre des notes au premier degré dans son coin.
Ca commence donc comme ça a fini dans "Flush the Fashion" dans la froideur d'une nappe de synthétiseur suivie d'un vrombissement évoquant peut-être un hélicoptère apache (j'y connais rien en hélicoptères moi). La voix sinistre du Coop balance un "Who do you think we are ?" qui lance une rythmique très carrée, très nette, très martiale, afin de présenter les forces en présence. En guise d'intro cartes sur table c'est parfait, on sait à quoi s'en tenir. Certains vont certainement déserter dés ce moment, c'est très probable (et c'est ce qu'a fait le public en majorité).
Pourtant, dés le morceau suivant la surprise est là. Il s'agit de la reprise "Seven & Seven is" de Love. Les Ramones s'y colleront à leur tour et ce n'est pas pour rien. Le morceau succède au "Talk Talk" de Music Machine de l'album précédent au titre de morceau exhumé pour montrer que le punk il vient de là, il vient du garage ! Une nouvelle fois, la recette fonctionne tout à fait. La rythmique aux allures de robot en surrégime transfigure le morceau, lui donne cet aspect brutal et urgent parfaitement dans le ton de l'album. "Prettiest Cop on the Block" enchaîne sur le même rythme, avec un humour débridé. On y découvre l'arrogant personnage d'un policier, sans doute de la brigade des moeurs, qui s'est un peu trop pris au jeu de sa couverture. Armé jusqu'aux dents et bardé de dentelle noire il rejoint la gallerie de désaxés si chère au chanteur à grand renforts de doubles-sens plus ou moins subtils "I got a stiff reputation with a stick like a rock". L'énergie est bien présente, ça rassure, et franchement ces allusions font bien rire votre pudibond révérend !
Le soufflet retombe un peu malheureusement avec un "Don't Talk Old to Me" un peu en demi ton. On reste dans cette agressivité assez punk, mais l'âme n'est pas vraiment là. Le morceau n'est pas mauvais en soi mais il n'apporte qu'une contribution très modeste à l'édifice.
Après la reprise "7 & 7 is" c'est au tour de l'auto-reprise, avec "Generation Landslide '81" issu du mythique "Billion Dollar Babies". Ca ressemble à un sabordage ! Et c'est sans doute précisément le but de cette reprise. Dans le "Alice in Paris" dont je vous parlais on peut entendre des versions "Special Forces" de "Under My Wheels" , "School's Out" et "Eigtheen", soit des titres emblématiques d'Alice Cooper première mouture envoyés par le fond par cette nouvelle incarnation. C'est assez fascinant, "Eighteen" en particulier devient particulièrement inquiétante avec un rythme ralenti et une sorte de lascivité malsaine. "Generation Landslide '81" récupère donc cette rythmique énervée et mécanique qui parcourt tout l'album, présentée lors d'un hypothétique live (en fait on a fait venir un public dans le studio), si bien qu'on ne la reconnait presque pas. Le "ladadadada" hurlé à l'époque, est ici presque chuchotté, le côté hymne triomphal est gommé, comme pour signifier que cette nouvelle génération n'a guère fait mieux que la précédente. Plus sombre, plus punk aussi, c'est une version très intéressante ainsi qu'un habile retour sur soi particulièrement pessimiste.
"Skeletons in the Closet" est plus pop, le titre ressemble à une parodie d'Alice Cooper tant il est évident. On y retrouve un peu de cette imagerie que le chanteur avait laissée derrière lui depuis un bon moment, non sans encore une pointe d'humour bienvenue. On y entend le chanteur s'énerver contre les choeurs à la toute fin, un presque classique chez lui.
Sans transition déboule "You Want It, You Got It", toujours très pop avec synthés et boîte à rythmes. Le rock du début de l'album au profit d'un côté très Gary Numan tout à fait comme sur "Flush the Fashion", très jeu-vidéo des années 80 mais pas désagréable. "You Look Good in Rags" est du même tonneau, artificiel au possible, empruntant à la new-wave avec cependant une présence des guitares nettement réaffirmée et quelques bruits d'armes qu'on recharge pour faire bonne mesure avec le thème.
"You're a Movie" met en scène ce fameux personnage de leader des "Special Forces" repoussant dandy androgyne décoré comme un sapin de noël et ne s'étouffant pas dans la modestie. Il dirige ses troupes autant comme un général que comme une meneuse de revue, c'est plutôt drôle il faut l'avouer. Les répliques maniérées de ce super-soldat font mouche (le titre de ma critique en est une) et le riff principal est entrainant au possible.
Le rythme convulsif de "Vicious Rumours" marque le début de la fin de cet album, on revient au rock quasi-punk qui marquait le début du disque sur le thème judicieux des traumatismes qui polluent la vie des anciens combattants. On y parle bien évidemment d'addictions et de troubles mentaux, ce n'est pas innocent ! C'est par ailleurs un morceau qui aurait gagné à être plus exposé et qui aurait pu trouver une place de choix parmi les incontournables du chanteur. Tant pis !
"Special Forces" est donc très loin d'être le mauvais album que beaucoup y compris le principal intéressé décrivent généralement. Les chansons ne sont pas toutes des réussites inoubliables, pourtant certaines valent réellement le détour et l'ensemble est d'une étonnante cohérence malgré la présence de deux reprises (une et demi si on veut). L'atmosphère post-apocalyptique sied bien à notre sorcière (Mad Max est passé par là), les textes sont toujours adroits et c'est au final une oeuvre très attachante si on se donne la peine de l'écouter avec attention. Hélas, l'accueil mitigé, les ventes moyennes et la promo limitée ne vont pas améliorer les choses pour Alice qui va continuer sa spirale descendante. Le devant de la scène n'est pas près de lui revenir et le temps des deux albums suivants, il va même se séparer de ces personnages qu'il aime tant incarner. Mais ça, c'est une autre histoire ! (ouais j'ai toujours voulu finir comme ça un jour.)