The Specials One

Quand Jerry Dammers crée le label 2-Tone en 1979, il sent le vent tourner.
Le vent du changement sera noir et blanc.

La grande vague Punk finit sa course sur un trottoir crasseux de London City et ouvre la voie à une myriade de genres et sous-genres qui vont exploser dans un grand fracas sonore et coloré. Un putain de feu d'artifice de styles musicaux (Post, Cold, Northern Soul, Ska...), vestimentaires (Skinheads, Rude Boy, Goth, Mod...) ou politiques.
Le déchaînement d'une jeunesse trop longtemps oubliée. Une jeunesse perdue dans les décombres d'une politique brutale, avilissante et socialement violente.
Ces grains de sables piétinés par la Dame de Fer qui vont bientôt venir gripper les rouages bien huilés de l'ultra-libéralisme triomphant.
La révolte gronde. L'Angleterre s'enfonce dans la crise: Crise sociale, crise identitaire ... Le feu prend dans Brixton, s'étend jusqu'à Trafalgar Square et viens même chauffer les panards de la vieille Thatcher au 10 downing street.

C'est le moment pour The Specials de balancer leur skeud vivifiant sur une Grande Bretagne boiteuse comme on balance un pavé dans la mare ou dans la vitrine d'un magasin de luxe.

Formé en 1977 à Coventry par Jerry Dammers (Claviers) comme un groupe Punk, le Band tâtonnera un moment ( sous les noms de The Automatics, The Coventry Automatics ou The Special AKA notamment) avant de trouver la bonne formule avec Terry Hall (Chant) et Roddy Radiation (Guitare Solo) et bénéficier de la rencontre avec Joe Strummer (The Clash) qui les invitera à faire sa première partie sur le On Parole UK Tour.
The Specials sortent les costumes, les cravates fines et les chapeaux de feutre. Ils mêlent les styles Skinheads et Rude Boy, trempent le Ska de Prince Buster dans le Punk crasseux de la Tamise et offrent aux oreilles ouvertes aux quatre vents de la jeunesse British un monument Mod-Ska intense et un brûlot anti-Thatcherien bien corsé.
The Specials font renaître les saccades Ska du soleil Jamaïcain et lancent la Second Wave Ska entre les tours de béton de Coventry.

Il ne faut pas se fier au sautillant méga tube A Message To You Rudy petite douceur Ska pleine de cuivres et de "coolitude" qui sent bon le soleil des Caraïbes.
L'album est bien plus rentre dedans que son titre phare ne le laisse penser. Si The Specials n'hésite pas à caresser le plus Old School des Reggae avec It's Up to You ou la magnifique Doesn't Make It Alright et son "Just because you're nobody...", ce sont les morceaux plus nerveux qui emportent l'album vers les sommets et griffent la Second Wave Ska d'une empreinte indélébile.
La reprise de Monkey Man de Toots and the Maytals, joyau Ska survitaminé, baigné de transes vaudou à faire ressusciter les morts, vient accélérer ton rythme cardiaque comme le ferait le décolleté de Kate Upton se balançant sous ton pif.
Do The Dog ou Concrete Jungle mixent dans la grande marmite créative qu'est le Royaume-Uni en cette fin des seventies, les restes d'une colère Punk bien blanche à un Ska endiablé et frénétique noir comme l'ébène.

The Specials dureront le temps d'une révolte, le temps d'un turbulent tempo de Ska mais offriront le plus bel exemple de cette Second Wave Ska mêlant nonchalamment musique et révolte; Ska, Reggae et Punk; blanc et noir.
Il restera ce damier noir et blanc. Ce symbole d'unité.
Ce damier comme le souvenir de la courte mais puissante vague Ska qui secoua l'Angleterre.