Charles Gayle Trio - Spirits Before (1989)
Ils sont rares à mettre les tripes sur la table comme ça, on pense à Ayler, à Coltrane, à Pharoah pendant ses jeunes années. Peut-être faut-il avoir trop souffert, ou bien avoir la foi débordante d’un fou de Dieu, je ne sais que dire mais Charles Gayle est de ceux-là. J’avais cité cet album lorsque j’avais évoqué « Homeless », sélectionné par FJMt°, pour ce qui me concerne « Spirits Before » qui le précède dans l’ordre des sorties, est plus fort encore, plus prenant, plus viscérale.
Peut-être suis-je tout seul sur ce coup-là, car cet album n’est encensé nulle part, enfin pas à ma connaissance, mais il m’apparaît grandiose, par la fêlure qu’il révèle et la déchirure qu’il contient. D’une sincérité folle, avec des accents provenant du tréfonds, le timbre comme une blessure.
La vie a été rude pour Charles Gayle, il semblait se moquer de l’aspect matériel des choses quand il jouait aux coins des rues ou sur les quais du métro, alors qu’il était sans domicile, c’est sans doute là qu’il a appris à faire sortir le cri de l’intérieur, ça a duré vingt ans avant que n’arrive sa musique dans les bacs, produite par Silkheart, un label suédois.
Ça s’est passé en 1988 et trois enregistrements sont parus qui ont changé son destin. Ici il joue en trio avec Sirone à la basse et Dave Pleasant à la batterie, comme sur « Homeless », Gayle n’a aucun mal à embarquer les deux autres dans son trip, ils sonnent comme un, ensemble, unis, dans la même direction. La passion et même parfois la souffrance, la plainte ou même la rage peuvent s’entendre ici, il suffit de se brancher sur le canal de son sax et d’en épouser le flux, de le faire sien, pour mieux ressentir.
Charles Gayle ne plaisante pas avec la religion, la foi le porte, le pousse et le motive, ainsi il semble parfois excessif comme le sont souvent les hommes entiers, son chemin ne semble pas rencontrer le doute, après tout c’est peut-être la foi qui l’a sauvé ? Albert Ayler n’était-il pas taillé dans le même bois ?
La version Cd comprend deux titres supplémentaires, « Black Oil » et « Sometimes » et atteint soixante-sept minutes. Ces deux titres sont tout aussi exceptionnels que le reste de l’album.