« Spiritual Unity » est enregistré en trio juste avant le départ pour l’Europe, donc avant Ghost et l’arrivée de Don Cherry, et après « Spirits ». Historiquement c’est aussi le premier album sorti par la firme ESP. Les trois lettres sont les trois premières du mot Espéranto, qui est parfois utilisé (comme ici) sur le label. D’autres parlent d’un second sens, caché. ESP signifierait aussi Extra Sensory Perception ("Perception Extra Sensorielle"), une jolie porte d’entrée pour cette « new thing » aux sons inouïs.
La formule du trio est donc la caractéristique principale de cet album, le groupe y puise une cohérence forte, un impact puissant.
Ghosts : first variation ouvre l’album, « Holy, Holy » sur Spirits avait déjà esquissé les contours de cette fameuse pièce qui deviendra l’un des chevaux de bataille d’Albert Ayler, sans cesse rejouée, toujours différente. Le thème est exposé avec cette ligne claire, presque naïve et puérile, la mélodie est jouée de la façon la plus simple et la plus joyeuse. Il se dégage une grande beauté et une calme sérénité lors de l’exposé du thème et de sa reprise, en fin de morceau. Sunny Murray accompagne les solistes en ne jouant, essentiellement, que des cymbales, seuls de légers frottements sur les peaux soutiendront l’effort de Gary Peacock lors de son solo. Celui-ci montre, comme à son habitude, un refus total de pulsation rythmique régulière, révélant cette liberté absolue qui est sa marque lors de ses enregistrements aux côtés d’Albert Ayler. Celui-ci, après l’exposé du thème entreprend un travail de déconstruction mélodique, escaladant les notes et les redescendant en une coulée virtuose, point de cri ni de fureur ici, tout est joie et plénitude.


Le titre “The Wizard “ correspond bien à l’imaginaire d’Ayler, le thème est extrêmement bref et, d’emblée, nous voici plongé au milieu d’un fabuleux solo de saxophone ténor, tout est fièvre et chaos, les sons forment de sortes de vagues déferlantes qui vous emportent, descendant vers les graves abruptes et rugueux et remontants vers les aigus les plus ténus. Le jeu de Gary Peacock est particulièrement mis en valeur sur cet enregistrement, l’absence de pulsation régulière ne l’empêche pas de relancer sans cesse le soliste en lui envoyant des impulsions continuelles. Son jeu, à lui seul, mérite une écoute attentive et concentrée, il semble porter la musique du trio, comme un point d’équilibre autour duquel le saxophone d’Albert Ayler gravite sans cesse, dans une course sans fin, il en émane une impression diffuse mais cohérente comme si une ligne était suivie. Un titre virtuose et sublime.
Une nouvelle version de « Spirits » débute la seconde face. Albert se fait lyrique et son jeu est tout en retenue, en émotion contenue, comme souvent à fleur de peau. Sa sonorité accompagnée par les pincements sur les cordes de la basse se fait plainte, et se prolonge vers une sorte de dénouement que l’on devine pathétique créant un sentiment de tristesse voire d’angoisse. Sunny Murray se montre un partenaire attentif, jouant des cymbales en envolées dramatiques qui ponctuent la gravité de la funèbre ballade.


Ghosts: second variation est la dernière composition de ce très court album. L’ouverture du morceau s’effectue par l’exposé du thème, tout en douceur, dans les tons graves, si chers à Albert pour la beauté simple qu’ils présentent. Le solo qui prolonge le thème est, à l’image de cet album, magnifique, de pure inspiration free, les notes d’Albert peignent un paysage sonore fait de montée, de descentes, de courbes et de volutes, décrivant des contours et des formes sans verser ni dans la colère, ni dans le cri, en une sorte d’apaisement et de sérénité.
Très court, cet album n’en est pas moins l’un des plus beaux. La formule du trio est gagnante. Un classique qui a eu, en son temps, une influence énorme.

xeres
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le 5 mars 2016

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