De très belles critiques ont déjà été faites sur cet album par P1ngou1n et Man Gaut, la mienne se résumera à une sorte de thérapie personnelle, un aveux de faiblesse quant à déballer au grand jour tout ce qu'il m'a été donné d'entendre, voir, ressentir au sujet de cet album, car il convient de l'admettre : même après 150 écoutes et des poussières, je ne suis pas sûr actuellement de l'avoir compris dans sa globalité.
«Du chaos naît une étoile» disait ce bon vieux Chaplin, et l'Apocalypse Sonore n'y échappe pas. Beaucoup de groupes de Death Metal ou de Black Metal de la scène actuelle pourraient illustrer ces propos (Zhrine, Sunless, Ulsect, Gigan, Abyssal, Ad Nauseam...), mais les néo-zélandais d'Ulcerate rendront compte de cette informe destruction musicale comme naissance d'une beauté inqualifiable mieux que tous les autres, car ils illustrent à la perfection ce qu'est la poésie noire tachée de lumière, ou l'infâme Chaos qui engendre les étoiles.
En 2007, avec la parution de 'Of Fracture and Failure', Ulcerate se définissait indéniablement comme les dignes héritiers des monstres canadiens de Gorguts, dans une approche avant-gardiste et dissonante du Death Metal, les influences du terrible 'Obscura' se ressentant pleinement dans la (dé)structure de l'album et cette teinte de chaos rythmique sur fond de dérèglement mélodique : une Apocalypse stridente et immersive.
Sur l'album suivant, le groupe redéfinira son son : il est plus épais, lourd et brut. 'Everything Is Fire' marquera donc réellement les débuts du groupe, là où les néo-zélandais s'émanciperont des influences des canadiens, sans pour autant les laisser de coté et rattraperont quelques influences de la densité sonore des français de Deathspell Omega. Si 'Of Fracture and Failure' était une base, 'Everything Is Fire' annonçait déjà les prémices de la construction d'un nouvel espace, de nouveaux horizons pour le Metal. Rarement un album aura aussi bien porté son nom : Ulcerate renaît deux ans après son premier album sur les cendres de Gorguts.
Les deux albums suivant, 'The Destroyers of All' et 'Vermis', rechercheront encore et encore dans ce nouvel espace du Death Metal de nouveaux horizons, de nouvelles approches, étendront la sphère pour mettre en place les codes et la structure pour les deux chefs-d’œuvre qui suivront : les compositions sont plus techniques, toujours aussi décousues et violentes, mais installent parallèlement une atmosphère légère et toute une virtuosité ambiante se fondant dans un nuage dantesque de dissonance rythmique. Naissance de ce que j'appellerai par défaut le Post-Death, un Death Metal puissant, lourd, massif qui se marie tendrement avec les atmosphères aériennes et oniriques d'un Post-Metal dense.
Vient alors en 2016 l'immense 'Shrines of Paralysis', symbole jusque-là d'une discographie parfaite, d'un niveau rarement égalée dans le Metal, et d'un renouveau continu, presque effrayant tant la qualité des albums tend à croître de manière quasi-exponentielle. Dès l'ouverture de l'album on est sur le cul, une claque monumentale d'un Death Metal brutal, ravageur...une claque que l'on prendra en continu durant les 50 prochaines minutes. Cependant, l'album ne renouvellera pas grand chose par rapport aux albums précédents, à la limite il approfondira, ce que sera loin de se contenter l'album suivant.
Ainsi, sort en 2020 'Stare into Death and Be Still'...album que je considère aujourd'hui comme le meilleur album de Death Metal (et ça me fait chier de l'admettre parce que j'ai grandi avec 'Symbolic' dans les oreilles), et bien plus largement comme le meilleur album qu'il m'ait été donné d'écouter. Un ovni indescriptible, qui rénove la scène Metal d'une manière générale, et dont la liste des qualificatifs serait impossible à établir tant l'album est riche. Si 'Shrines of Paralysis' répondait gentiment aux codes présentés sur les deux albums précédents, en étant certes un bien meilleur objet, 'Stare into Death and Be Still' approfondit, dépasse et redéfinit ces codes. Il est une nouvelle direction du groupe, bien plus mélodique, bien plus aérienne, mais toujours aussi violente et brutale. «C'est donc ça se faire aspirer par le vide...» m'étais-je dit la première fois que mes oreilles se sont posées sur l'album. Tendre apocalypse...le chaos n'aura jamais semblé aussi beau et agréable. A l'image de sa pochette (qui visuellement plie le game, il faut bien le dire), l'album est sombre, triste, mélancolique, une tâche noire qui envahit la lumière, un abysse qui dévore l'espace. Oui, lorsqu'on écoute cet album, tout disparaît (enfin) autour de soi, on est plongé dans un nouveau monde, libre, regardant l'espace se détendre sous un orage de mélodies jusque-là jamais vues, un tonnerre de rythmiques incompréhensibles. Le chaos n'aura jamais semblé aussi beau. 'Stare into Death and Be Still' est un enfer dystopique, un monstre qui dévore l'instant et l'espace, et on aura beau se préparer à l'écouter, le réécouter, la sensation restera la même : l'album s'accapare le monde extérieur et nous plonge dans une transe indéfinissable.
Au-delà de toutes ces sensations indescriptibles que je tente vainement de décrire, et dont je pourrais reformuler la forme à l'infini, la structure de l'album en elle-même est bien mieux construite que celle des albums précédents. Les compositions sont mieux entre-coupées par les séquences vraiment brutales et techniques et les séquences atmosphériques des lignes de guitare en reverb appuyées par la batterie / basse en coupure rythmique. Tout au long de l'album, on aura le droit à un déversement de technicité de Jamie Saint Merat (ça c'est cadeau : https://youtu.be/nWvIijHOOOk), que l'on peut aisément considérer comme l'un des meilleurs batteurs du moment, dévoilant tout son potentiel de virtuose : pas de blast à outrance, un jeu en perpétuelle évolution, dynamique et extrêmement complexe. La guitare se révélera comme un simple file directeur de la progression des morceaux, un jeu en suspension dans les aiguës partitionnant l'atmosphère, faisant jongler l'album entre brutalité et calme et d'une manière plus large posant le contraste entre la violence ambiante et la dose de mélancolie offerte par l'album. Bien sûr, comme tout album complexe de ce mouvement de Dissonant Death / Dissonant Black, il faut plusieurs écoutes pour intégrer et digérer la quantité d'informations délivrées par l'album, réussir à distinguer une structure claire et définie, mais une fois cela fait, toute la virtuosité ambiante se dégage, la confusion disparaît et laisse place à un ensemble de compositions techniques et complexes, très mélodiques (bien accentué par ce riffing si particulier à la guitare de Michael Hoggard), avec un son très profond et organique sur les bases rythmiques, grandement surélevé par le chant en growl abyssal de Paul Kelland. La mélodie est la lumière qui s'échappe de cette base, de ce gouffre infernal. La dimension mélodique de l'album, c'est cette étoile qui naît du chaos, ce qui rend cet album unique dans la discographie du groupe, qui le sort du lot et qui le place au sommet de toute cette vague de Death Metal / Black Metal avant-gardiste, dissonant.
Bref...on aura beau l'écouter un milliard de fois, le redécouvrir chaque matin au réveil, ou le soir en marchant, 'Stare into Death and Be Still' restera une expérience indéchiffrable, sombre et essentielle.