Strangers
6.7
Strangers

Album de Ed Harcourt (2004)

Souvent, ceux-là sont bruns et grands. Souvent aussi, ceux-là pratiquent le piano depuis l'âge de 5 ans, aiment la littérature depuis toujours et expliquent qu'ils ont enregistré leur dernier album "l'hiver dernier" avant d'ajouter "loin de la ville" ? comme si leur musique ne pouvait pousser que dans le froid et au grand air, comme si leur lyrisme avait besoin d'espace, de nature, de sauvagerie même, pour pouvoir s'épanouir librement. Souvent, ceux-là ont des noms qu'on ne sait jamais écrire, Hawksley Workman, Rufus Wainwright. Et les filles n'arrivent pas à dormir parce que, souvent, ceux-là savent aussi très bien jouer de la guitare. Voire du Wurlitzer. Ed Harcourt, bien que son patronyme soit un tantinet plus facile à épeler, est de ceux-là.
Enregistré en pleine campagne suédoise, Strangers, son troisième album n'a pourtant rien de bucolique. Loin des recueils folk contemplatifs où tout est dit sans qu'il ne se passe grand-chose, Strangers ressemble plutôt à une compilation d'histoires citadines, de comptines sentant davantage le tabac froid que la bouse de vache, le verre de vodka à moitié vide que la bouteille pleine de petit lait. Bref, des comptines urbaines qui évoquent plus Tom Waits que Neil Young, Lou Reed que Will Oldham. Ecrire qu'Ed Harcourt a enfanté un chef-d'œuvre digne du rang de ses prédécesseurs reviendrait à dire qu'il y a des armes de destruction massive cachées dans les pâturages suédois. Il y a même, sur Strangers, quelques longueurs, un violon un peu trop loquace, deux ou trois morceaux superflus. Mais il y a aussi et surtout de quoi rendre pas mal de gens heureux : une poignée de pépites répondant parfaitement aux critères de la chanson pop impeccable. Ainsi le piano du beau Black Dress clôturant l'album ou les cuivres élégamment maîtrisés sur This One s for You, qui rappellent l'émoi ressenti à l'écoute des premiers singles de Belle & Sebastian.(Inrocks)


Mesdemoiselles, messieurs (?), n'espérez plus. Conformément à  ce qu'il a révélé au fil de ses quelques récents entretiens, le coeur d'Ed Harcourt n'est plus à  prendre. Détail insignifiant ? Sachant que l'amour reste en tête de liste des thèmes surexploités en musique, a fortiori pour une âme aussi romantique que la sienne, il a son importance. Dédié à  sa nouvelle "foxy lady", Strangers transpire par chaque pore les premiers frimas d'une relation amoureuse. Le grand A renversant, exacerbé, enflammé, qu'il s'est empressé de retranscrire dans une première moitié d'album tout bonnement fulgurante. Avec son larsen de guitares étiré à  l'infini, The Storm Is Comingannonce brillamment l'ampleur de la tempête, angoissante et jouissive, qui, après avoir tout emporté sur son passage, laisse espérer des lendemains extatiques. Les Étrangersne le sont bientôt plus tout à  fait... C'est dans une nuit cuivrée, des trémolos dans la guitare, que les corps font corps contre le monde : This One's For You, affirme Ed sans ambages, dans la plus honnête et touchante chanson qu'il ait jamais écrite. Le même sentiment de plénitude prédomine sur l'impétueux Let Love Not Weigh Me Downet surtout Something To Live For, à  la beauté bricolée proche de Badly Drawn Boy. Que la destinataire en question se réjouisse car elle talonne Yoko de près dans le rôle de super muse. Jamais, de Maplewood à  From Every Sphere, l'hyperactif Britannique a semblé si optimiste et bouleversant. Le spectre s'élargit tout de même pour laisser la place au hit générationnel annoncé de la saison, Born In The 70's, délicieuse pochade portée par un clavinet joueur, où le gouailleur Ed fait sa crise identitaire et règle ses comptes avec la vieille école dans un jouissif déluge logorrhéique. Son talent de conteur ajouté à  un savant dosage d'instruments atypiques (cloche, Wurlitzer etc.) offrent un charme désuet et intemporel à  cet album qui pâtit à  peine d'un final en roue libre. C'est ironique que l'amour lui ait révélé un autre aspect de son talent quand il affirmait dans ces pages ne pas vouloir se "marier, ni avoir d'enfants, car sinon tu perds de ta hargne, de ta volonté..." (Magic)
bisca
7
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le 28 mars 2022

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