Jason Lytle, sous ses airs de bûcheron canadien ? chemise à gros carreaux, casquette de base-ball patinée, couperose et barbasse en friche ? débite des chansons inoubliables et bouleversantes comme d'autres iraient couper du bois pour l'hiver. Des chansons qui réchauffent le cœur et l'âme mieux que n'importe lequel des brasiers, des chansons de folk astral comme seul Neil Young ? l'évident grand-père de Grandaddy ? fut longtemps capable d'en faire tomber de l'arbre, avec Buffalo Springfield, ou au cours de ses premières moissons solitaires. Le nouvel album de Grandaddy, Sumday, constitue encore une fois une récolte opulente de ces mélodies qui, à peine inhalées, ne laissent plus votre épiderme tranquille des heures durant, agissent comme autant de caresses diaboliques qui, sans en avoir l'air, labourent les chairs et mettent en ébullition les sens et les sangs. Les histoires d'androïdes alcooliques et autres paraboles limite dadaïstes qui émaillaient la grande odyssée de The Sophtware Slump laissent pourtant place sur Sumday à des "short stories" plus directement en prise avec les tourments terrestres : la crise de la quarantaine (le poignant minimélodrame de Saddest Vacant Lot in All the World), les ruptures noyées dans l'alcool, les bilans maussades et les éternels espoirs ruinés de rachats et d'accession au bonheur. Heureusement pour Lytle, la contrebalance musicale adoucit souvent chez Grandaddy le poids des mots ; la béatitude optimiste qui semble jaillir en farandoles multicolores de leurs instruments estompe régulièrement les gerçures les plus vives, évite soigneusement de surligner l'apitoiement. C'est le côté Electric Light Orchestra, le côté 10cc de Grandaddy qui provoque d'amusants anachronismes : il y a toujours un moment en écoutant leurs disques où on se croirait bloqué en compagnie des Beatles dans l'ascenseur d'Apollo 11. Et puis il y a la voix de Lytle, cette voix tendrement acidulée, modérément plaintive, quasi juvénile, qui achève par sa juste proportion d'amertume de tamiser l'énergie solaire que ces chansons dégagent. (Inrocks)
Sumday est-il ou non meilleur que The Sophtware Slump, largement célébré dans ces pages en son temps (magic #41) ? Cette simple question suffit à résumer le niveau du débat qui entoure la parution de ce très attendu troisième Lp de Grandaddy, dont les écoutes répétées ne parviennent pas à effacer le sentiment diffus d'une certaine déception, voire d'une déception certaine. Bon disque au demeurant, Sumday ne renferme en réalité que des chansons aussi plaisantes que prévisibles, là où l'on espérait des surprises et un concours d'excellence. Scindé en deux parties bien distinctes une première moitié pop suivie d'une seconde atmosphérique , cet album se déroule comme une lettre à la poste, mais dont le timbre faisant foi aurait déjà servi. Ainsi, le single Now It's On résonne-t-il étrangement comme un ersatz de The Crystal Lake. Ou I'm On Standby, Yeah Is What We Had comme des chutes de studio de The Sophtware Slump, ce qui revient au même. Parfois, subrepticement, l'ennui pointe ici (Lost On Your Merry Way, mélopée poussive sans queue ni tête) ou là (The Final Push To The Sun, complainte finale en demi-teinte). Bien sûr, le style lunaire de Jason Lytle, compositeur en chef du quintette de Modesto, fait toujours mouche, que ce soit sur l'énormissime El Caminos In The West (prochain single pressenti), l'onirique The Group Who Couldn't S a y, et l'imparable O.k. With My Decay, qui invite Badly Drawn Boy, rend visite à The Flaming Lips et s'achève en apothéose digne de la rencontre au sommet entre les Beach Boys et Pink Floyd (six minutes de pur bonheur). Jugé par ses auteurs comme "un aboutissement", Sumday ne possède pourtant ni la prime fraîcheur de Under The Western Freeway ni la cohérence absolue de Sumday. À défaut de l'album, la semi-frustration du mois.(Magic)
Eh bien déjà pour commencer, mille excuses pour le temps que j'ai mis à chroniquer cet album, mais une telle oeuvre ça met du temps à se digérer... Et puis pour me prouver que "Sumday" n'était pas QUE le disque de mon été (il est en effet resté scotché à ma platine le temps qu'a duré la canicule, c'est vous dire), j'ai attendu la rentrée pour me prononcer définitivement, histoire d'avoir le recul nécessaire. Verdict : il n'a absolument rien perdu de sa saveur !S'ouvrant sur le fantastique "Now it's on", Sumday fait s'aligner les pépites pop, ourlées de mains de maîtres par les 5 américains. En apparence simples, les mélodies de Grandaddy s'incrustent, même après une seule écoute, dans votre cortex, pour ne plus le quitter. Les claviers chers à nos slackers préférés sont toujours là, leurs guitares délicieusement cradingues et mélodiques également. Tendres mélopées nostalgiques (le superbe "Saddest vacant in all the world" et son final à la "Hey Jude", toutes proportions gardées bien entendu), perles pop aux suites d'accords confinant au génie ("Lost on yer merry way"), longues pièces louchant vers le prog ("O.K. with my decay"), cet album sied finalement très bien à l'automne, exaltant un doux parfum de mélancolie. Les amateurs de pop sont décidément gâtés en cette rentrée 2003 (même si Sumday est sorti cet été !) avec les sorties de Travis, Fountains of Wayne, ... : comme Sumday, ces albums sont des perles du genre, à écouter absolument. En tout cas, si vous avez aimé "The Sophtware Slump", foncez sur "Sumday" ! Mais attention, on devient vite accro ! (indiepoprock)
Le retour en fanfare du plus grand groupe de Modesto, Californie, du monde, j'ai nommé Grandaddy. Abonnés à la lo-fi bien planante, l'équipage du vaisseau de Jason Lytle étaient entrés en studio l'année dernière dans l'espoir de livrer un double album, composé d'une piste pour danser et d'un édredon pour s'envoler. Las, après mûre réflexion, la livraison finale ne devait peser plus que 12 titres, ce qui est finalement une excellente chose pour ce mois de juin. Why? Because Sumday pourrait bien devenir l'album de l'été. Un été ( glacé ) dansant sur Now it's on ou El camino in the west, en pente douce sur the go and the go for it ou yeah it's what we had…C'est aussi l'album de l'évolution tranquille: 12 pop songs, sans embardées psychédéliques, aux paroles à peine plus optimistes et une modestie à l'épreuve des balles que Radiohead leur expédie à la gueule en sortant Hail to the Thief le même jour. Winner: Sumday. (liability)
Perle de l’indie post-OK Computer, Grandaddy distille une musique simple en apparence mais dont les harmoniques feutrées, parfois parcourues de sages distortions et de synthés ronronnants qui n’entachent en rien leur sens mélodique céleste, forment de parfaits écrins pour la voix d’airain de Jason Lytle. Une métronomie impeccable sur des rythmes parfois synthétiques (Stray Dog And The Chocolate Shake) mais aussi d’une fraîcheur estivale (Now It’s On, The Group Who Couldn’t Say) masque presque de somptueux motifs de piano (The Saddest Vacant Lot In All The World, The Warming Sun) d’un romantisme que le défunt groupe maîtrise autant que les sautes d’humeur du moins carré mais tout aussi convaincant Sophtware Slump (on pense à Broken Household Appliance ou He’s Simple, He’s Dumb, He’s The Pilot) sorti trois ans auparavant, le diptyque suffisant à consacrer Grandaddy et leur verve beatlesienne comme une figure majeure de la pop américaine des années 2000. Mouais. Pas génial. Enfin, pas l’album, évidemment qu’il est génial. Simplement, que vaut cette chronique si elle échoue à le rendre différent à vos yeux de l’album « sympa pour passer l’été », ou même du « machin quelconque que j’encense ici mais que je finirai par exhiber fièrement au milieu d’autres conneries dans mon top 50 de l’année établi à l’arrache dès le mois de mai » ? Comment briser ce mur entre toi, lecteur, et ce « splendide opus » que, par cette seule appellation surannée, je défigure à l’acide pervers de mon verbe indigent étalé à la sauvette sur vos pauvres mirettes qui n’avaient pourtant rien demandé ? Même slalomer avec circonspection entre ces rangées de cèpes aux structures semblables que sont les titres de cet album ne résultera pas en davantage de compréhension, mais en un enchaînement de mindfucks jamais vu depuis l’invention du calcul. Que contient cette musique d’objectivement singulier ? En vérité, peu de choses. Le niveau technique des musiciens est anormalement normal (ni mauvais, ni tape-à-l’oeil) et le registre dans lequel évolue le groupe balisé. Mais même cette absence de complexité et de sonorités réellement nouvelles ploie face au diktat du « cébo », insidieuse saloperie élisant domicile dans les pop songs pour se propager par elles dans nos grêles organismes et les paralyser. Ainsi pourrais-je aussi me vendre moi-même au lieu de l’album, admirable refus d’obstacle comme Lelo J Batista en fait régulièrement dans Noise. Mais comment l’en blâmer ? Il est vrai que la raison pour laquelle nous écoutons tous de la musique est parce que l’album nous empêche de dormir, de manger, hante nos nuits comme nos rêveries diurnes jusqu’à faire littéralement partie intégrante de notre être et supplanter toute réalité en nos vies fort emmerdantes. Par contre, va raconter ça à longueur de chro, tu vas passionner les gens par ta manière de capturer la singularité de cette musique, un truc de fou. On peut alors s’avouer vaincu ; lorsqu’un album comme celui-ci, s’expliquant par sa seule substance, nous laisse à ce point désarmé, on peut, comme un Jacky Goldberg de la critique musicale, se laisser aller à de mirifiques et très divertissantes surinterprétations, les livrant en pâture à ces cons de lecteurs qui seront de toute façon incapables de faire la part des choses entre le leurre que l’on leur sert sournoisement et les réelles qualités foncières et formelles de l’œuvre d’art singulière et vivante. (inside rock)