Le dixième album de Siouxsie and the Banshees, paru en juin 1991, marque le grand triomphe de Budgie. Non pas car il a épousé Susan Janet Ballion, alias Siouxsie Sioux au mois de mai, mais parce que ce nouvel album est livré sous une couverture rose qui rappelle ses plus belles tenues, sans doute à l’origine de son surnom coloré. On note aussi que le groupe est représenté en photo au complet sur le dos de la couverture, Martin McCarrick inclus. Les ornementations art-nouveau/art-décadent ramènent à Klimt, déjà cité avec la couverture de A Kiss in the Dreamshouse autant qu’à Aubrey Beardsley. Cosmétiques, ces éléments sont pourtant autant d’indices sur le contenu de l’album.

Peepshow a conclu les années 80, brillamment d’ailleurs, et Boomerang, des Creatures sort en 1989. Trois ans après la dernière aventure donc, les années 90 ont débarqué sans prévenir. 1991 n’est pas 1978, c’est un scoop, et bien des vétérans ont cruellement senti passer ce tournant dans le monde de la musique, de plus solides s’y sont brisés ou y ont au moins laissé quelques plumes.

Afin d’aborder cette nouvelle décennie, le groupe se place sous la houlette de Stephen Hague, bien décidé à faire entrer les Banshees dans les années 90.


Et il ne perd pas une seconde, puisque Kiss Them For Me débute par ses boucles synthétiques et boîtes à rythmes presque danse tout à fait dans les sonorités du moment. Le ton est donné, appuyé par un clip où Siouxsie est totalement métamorphosée (déjà on l’avait vue en Louise Brooks au temps de Peepshow). Le glamour a petit à petit remplacé la provocation et c’est surtout vrai musicalement. La voix de Siouxsie est caressante, soutenue par les sonorités orientales des nappes synthétiques. On ressent malgré l’enrobage pop (et même hip-hop très subrepticement) une certaine mélancolie dont il faut aller chercher la raison dans les paroles. Kiss them for me étant les derniers mots laissés sur une note de Jayne Mansfield avant le tragique accident qui lui coûta la vie. La chanson évoque la trajectoire de l’actrice sex symbol déchue.


Le robotique Fear (of the Unknown) déroute. On se situerait presque dans le domaine de Nine Inch Nails des tous débuts, mais c’est sans doute du côté de Prince qu’il faut aller chercher l’influence. Si on posait la voix du Kid de Minneapolis sur le morceau, on pourrait presque le caler sur l’album Batman. Siouxsie and the Banshees et Batman ? Idée saugrenue voyons ! (la suite va vous étonner) Le groupe continue de surprendre en se rendant sur ce terrain d’abord un peu funky puis electro où il ne s’était encore jamais aventuré. La guitare discrète de Klein et d’autres petits détails dans la mélodie font qu’on y revient avec plaisir.


Cry est bien plus conventionnelle, c’est même un très joli morceau qui aurait mérité un meilleur traitement que cette production datée. Plus dépouillé, il aurait trouvé sa place sur Peepshow. Malheureusement les cuivres (synthétiques), plus que pop, carrément variété, plombent un peu le joli travail de Siouxsie au chant et enduisent la batterie de Budgie d’un sirop un peu trop compact.


L’espoir de revenir à des ambiances plus sombres émerge avec Drifter. Ses cloches embrumées et sa guitare sinistre en intro conduisent la fantomatique Siouxsie jusqu’aux percussions un peu étouffées de Budgie. C’est un de ces morceaux à l’ambiance très réussis, qui échappe à la production datée de bien des titres de cet album. On est à mi chemin du western et de la complainte.


Jusqu’à présent Steve Severin s’est fait très discret. La chanson Little Sister, de son œuvre, ne le met pourtant pas plus en valeur que ça. Au-delà du chant de Siouxsie qui porte à lui seul l’atmosphère du morceau, on retrouve des sonorités typiques de ce début 90, au point qu’on trouve des similitudes avec le Give In to Me de Michael Jackson sur Dangerous, de la même année. Ce rapprochement vertigineux vous est livré sans parachute, ne pas reproduire chez vous.


Shadowtime est presque insouciant en apparence, avec son chant un peu jazzy, ses guitares et claviers pointillistes et sa basse ronde. C’est encore Severin qui est derrière le morceau, musicalement très proche de ses copains de The Cure. Hélas, le morceau s'essouffle au bout de sa première moitié et paraît bien long, d’autant qu’il termine en fondu, c’était bien la peine !


Silly Thing effraie d’abord avec ses claviers datés, mais rassure avec ses guitares élastiques qui le parcourent. L’accent est mis sur la voix, très en avant, tandis que la batterie maintient le cap au milieu de ce morceau zigzagant, s’offrant même de très belles parties. Il y a quand même encore un fondu, je continue de le relever systématiquement, je sais.

Got to Get Up est très intéressant avec sa batterie et ses percussions qui constituent pratiquement la partie mélodique des couplets. C’est fourmillant d’invention et ça fait plaisir d’entendre un peu Budgie s’amuser même s’il n’est pas mis autant en valeur qu’il le devrait sur ce titre.


C’est pourtant un morceau de son cru, Silver Waterfalls (quel joli titre) qui poursuit. La part belle est faite aux percussions, mais également aux boîtes à rythmes, dans un morceau très personaljesussien. Oui, de Personal Jesus de Depeche Mode. On dirait presque que c’est fait exprès tant les morceaux sont proches. Ça ne gâche rien pour autant ! (et le fondu hein ?)


Le long morceau Softly renoue avec les morceaux les plus berçants de Peepshow, particulièrement Last Breath of My Heart. C’est un domaine que maîtrise désormais parfaitement le groupe, que ce soit au niveau du chant de Siouxsie, en velours, que des cordes de McCarrick. C’est cotonneux, brumeux, passant de l’ombre à la lumière. Des comparaisons ont été faites avec les ambiances vaporeuses de Scott Walker, et c’est vrai que c’est très pertinent. C’est selon moi également très proche du travail d’Angelo Badalamenti sur Twin Peaks, où le morceau aurait très bien pu figurer. Dans tous les cas, c’est superbement réussi, une récompense à ce moment de l’album.


La conclusion est offerte par Severin, encore lui, avec The Ghost in You. Ouvrant sur un synthé et des percussions adoucies, c’est un titre apaisé dont on ne retiendra malheureusement pas grand chose.


Ironiquement, la plus belle réussite de cet album pourrait bien être Face to Face, absente de l’édition originale de l’album puisque le titre est en réalité issu de, oui vous avez trouvé, Batman Returns ! On y sent le groupe très motivé, en bel accord, avec une Siouxsie qui ronronne réellement avec la malice inquiétante d’une Catwoman gothique. Les cordes comme les percussions créent une ambiance folle sur ce titre expressionniste dont le clip vaut le détour. Le thème de Catwoman, composé par Danny Elfman y est d’ailleurs partiellement repris, ce qui me donne le tournis quand j’imagine une collaboration entre Siouxsie and the Banshees et Oingo Boingo ! On y retrouve également les thèmes chers au groupe de l'image renvoyée, des apparences et des reflets. Tiens, ce titre m’enthousiasme tellement que je ne lui en veux pas une seconde de terminer en fondu. Plus sérieusement c’est un morceau qui ravive les meilleures sensations de la période A Kiss in the Dreamhouse, l’expérience en plus.


J’ai parfois été sévère avec cet album qui ne manque pas de beaux moments mais qui souffre trop de cette production de Hague dont Siouxsie se plaindra plus tard et dont les sonorités ne collent pas toujours au travail des Banshees. Même le moins réussi des albums de Siouxsie and the Banshees reste une œuvre intéressante qui mérite de creuser un peu pour en dénicher les merveilles. Il est juste un peu triste de voir le groupe se conformer un peu trop à la mode du moment au lieu de la mener. L'album a marqué l’entrée du groupe dans une décennie musicale où une deuxième génération de groupes se réclamant de leur influence est en train de germer. Il faudra cependant 4 ans avant de voir reparaître une ultime fois les visages blafards de Siouxsie et ses Banshees.









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le 3 oct. 2023

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