Il est bon, il me semble, de préciser à l'éventuel lecteur de cette modeste critique que je n'avais jamais entendu parler d'Aphex Twin avant l'an de grâce Deux-mil-quatorze.
Pourquoi ou comment, je l'ignore moi même.
Donc, les 13 ans d'attente insoutenable depuis Drukqs... ça va, je les ai bien vécu, merci.
Pour ainsi dire, j'avais du chercher sur google "meilleurs albums de 2014" comme je le faisais quand j'étais en galère de nouveautés et tomber sur cet album.
Je sais aussi que j'avais dû le télécharger (sur-une-plateforme-de-téléchargement-légal-bien-évidemment-le-piratage-nuit-à-nos-artistes) parmi une dizaine d'autres albums et le laisser au chaud sur mon disque dur.
Et c'est tout.
Je me permet à ce niveau une digression pour évoquer une question qui me travaille :
Est-ce la nostalgie et le souvenir du moment ,de l'atmosphère, du contexte où l'on a découvert un album qui font que l'on est irrémédiablement attaché à ce dernier?
Ou est-ce au contraire parce qu'on est tombé sous le charme de l'album que l'on est nostalgique du moment de sa découverte?
Toujours est-il que le moment précis où j'ai découvert Syro correspond à la nuit pendant lequel mon fils est né. On l'aura compris, chaque nouvelle écoute (et je pense l'avoir écouté des centaines de fois) me ramène à ces longues heures, cette longue nuit de novembre, plié en quatre dans un fauteuil d'une chambre d'hôpital, me préparant à devenir supposément un homme en réfrénant mes angoisses jusqu'au dénouement inoubliable et indescriptible.
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Donc, le mec nous raconte sa vie alors qu'il est censé écrire une
chronique.
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Syro, donc.
Je n'ai pas malheureusement la science pour me permettre de m'aventurer dans une analyse détaillée, piste par piste. En tant que béotien, une chose m'a immédiatement marqué et continue encore aujourd'hui à me surprendre: cet album, par la structure de ces morceaux est terriblement complexe. Il semble que chaque beat, chaque ligne de basse, chaque sample vocal, pour ainsi dire, chaque seconde de chaque morceau ont été travaillés, ciselés, polis, dégrossis, peaufinés.
On imagine Richard D. James, tel un stakhanoviste, un forçat du studio, cherchant la quintessence du moindre son figurant sur son album et dans un accès de perfectionnisme repassant à nouveau au filtre chaque détail.
Complexe, dense, riche, certes.
Oui mais étrangement accessible.
Les portes sont ouvertes et on entre sans mal dans Syro.
Par contre en sortir est une autre histoire...
Aphex Twin tel un Dédale contemporain nous embarque sans boussole et nous abandonne à nos pérégrinations. Chaque morceau évolue en un labyrinthe, entrouvrant des fausses pistes. On pense être sur une voie quand une ligne de basse surgit, un beat tombe de nulle part, une voix triturée à l'excès résonne; un nouveau couloir s'ouvre et l'on est propulsé dans une nouvelle direction.
Ecoute après écoute, on est heureux de se retrouver dans un univers désormais familier. Pourtant on se surprend à découvrir des endroits, des recoins inexplorés, oubliés, inexploités.
L'artiste parvient au final à proposer un ensemble à la fois tentaculaire et incroyablement cohérent.
La traversée dure précisément 60 minutes. Quand s'éteignent les derniers feux de S950tx16wasr10 (Earth Portal Mix), un doux morceau de piano vient nous envelopper. La mélodie d' Aisatsana , se fait minimaliste, indolente. Soudain, on est pris d'un doute: et si tout n'avait été qu'un rêve?