Temps mort et Mauvais Oeil, Booba est-il le même ? De la rue au rap.

Quelle différence entre la pensée que propose Booba dans Temps mort et la pensée qu'il propose dans Mauvais Œil, le premier album de sa carrière ?
Je souhaite montrer que pour l'essentiel, il y a similitude : le racisme, la fierté, la combattivité sont encore des thèmes privilégiés. Pourtant il y a certaines différences, un début de transition s'opère notamment dans une thématique nouvelle chez Booba mais qui est encore récurrente dans ses morceaux actuels : la concurrence et l'esprit clash. On se demande donc, comment Booba passe de la combattivité culturelle et antiraciste de Mauvais Œil à des textes qui ressemblent plus à de l'égotrip comme dans Repose en paix ou Temps mort ?


1/ Booba n'a pas changé sur le fond.


A/ Rappel sur le Booba de Lunatic


Tout d'abord, rappelons nous de Mauvais Œil, des thématiques abordées et des prises de position prises dans cet album. Dans ma critique de cet album, j'avais relevé quatre thématiques principales : le racisme, l'illicite, la combattivité et la religion. Ces thématiques paraissaient s'articuler ainsi : le racisme néocolonial s'attaque à la dignité des deux mc's, les exemples typiques sont les humiliations policières et la pauvreté qui découle du statut de banlieusard. La dignité des rappeurs proposent ainsi un message de combattivité afin de répondre à ce problème, on parle ainsi de tirer sur les policiers et on se revendique de l'argent sale pour briller de nouveau, comme les rois qu'on était avant le colonialisme. La religion quand à elle, permet surtout de rappeler notre dignité, à travers son message promouvant une certaine justice et autre chose que le racisme que parait imposer la culture occidentale. Lunatic utilise ainsi la religion pour être un critère de jugement, capable de remettre à leur place les institutions blanches racistes qui les mènent à n'avoir que l'illicite pour briller, être digne : "nique la justice, il n'y a que Dieu qui peut me juger". Elle fait office de contre culture. J'essaye d'explique ceci dans ma critique de Mauvais Œil, ici : https://www.senscritique.com/album/Mauvais_OEil/critique/190889361


B/ Le Booba de Temps mort.


Qu'en est-il du Booba de Temps mort ? Est-il différent du Booba de Lunatic ?
Pas besoin de chercher loin pour définir le Booba de Temps mort, il le fait lui même dans le morceau Ma Définition. Booba se définit encore comme un jeune de banlieue, un jeune noir : « ma jeunesse a la couleur des trains », « mon peuple anéanti ». Comme avec Mauvais Œil, il se situe dans une certaine opposition au Monde bourgeois et blanc : « c’est poussé comme une ortie parmi les roses, et ils sont trop alors j’appelle mes khos les ronces », ce qui mène à une certaine conflictualité : « On cultive sa haine anti-flics ou gendarmes. Alors on devient des boss du maniement d’armes », « ici les hyènes ont une insigne. Et j’espère qu’c’est pas l’un d’nous qui servira de gnou ».
Opposition et conflictualité qui parait appuyer sur la police mais qui se comprend surtout dans un contexte et une histoire raciste : « vous auriez du me laisser les chaînes » dans On m’a dit, ou encore « depuis les chaînes et les bateaux je rame, aucune marque dans le dos man j’les ai dans le crane » dans Le bitume avec une Plume.
Booba, reste toujours aussi concerné par la conflictualité avec la police et l’histoire du racisme dans cet album, ce qui montre bien que ce n’était pas le propre d’Ali. Sur la conflictualité avec la police, on peut écouter l'hommage à Florence Rey (qui a tué des policiers) qu’on trouve dans 100-8 zoo.
On retrouve de nouveau aussi la combattivité propre à Booba dans cet album : « Mon peuple anéanti. Temporaire seulement, jusqu’à la rébellion de l’Afrique et des Antilles », ou encore « C’est un état d’esprit, ne plie que si les pissenlits j’bouffe. Ne reçois d’ordres ni des keufs, ni des profs »,
La même combattivité révolutionnaire qu’on retrouvait dans Lunatic : « entretiens l’endurance et l’cran pour l’insurrection » dans L’effort de Paix.
Combattivité qui va toujours de pair avec cette fierté propre à Booba et à Lunatic : « À force de m’plaindre, j’attends plus l’argent, j’vais l’prendre ». Le but est moins de gagner de l’argent que de cesser de se plaindre, on retrouve cette subordination de l'argent vis-à-vis de la fierté dans cette phase : « Insoumis, j’fais des sous bêtement, Parce que j’veux voir c’pays en sous-vêtements ». L'objectif n'est pas d'être riche mais bien de dénuder le pays. Ainsi, comme avec Lunatic, il y a un intérêt pour l’argent mais qui est subordonné à une lutte morale, une fierté.
Il y a du commun, Booba n'aurait pas évolué d'un iota ?


2/ Quelles différences ?


A/ Combattivité et égotrip.


Certains thèmes sont encore plus présents qu’avec Lunatic, notamment la combattivité. La police prend tout autant cher que dans le premier album, mais un nouveau thème apparait : le fait qu’en rap c’est un tueur, dit autrement, il se met à l’égotrip : « mon rap t’attrape par l’col », « « j'rappe depuis peu, pour certains, j'suis encore p'tit. J'peux t'dire que sur c'beat, j'commets des crimes » dans Nouvelle école.

Cela est en toute continuité avec le Booba de Lunatic. La combattivité résultait de cette fierté noire propre aux deux rappeurs et était aussi une nécessité pour survivre. Ainsi, il s'en revendiquait déjà : "combattre on sait faire que ça" dés l'intro. Mais dans Temps mort, cette amour de la combattivité devient non plus le moteur du rap en général mais surtout de l'égotrip. Il y a ainsi une continuité entre la combattivité de la rue et celle du rap : « j’suis en écoute à la fnac et chez les rg » dans indépendants, « j’vais fouttre la merde et j’vais m’barrer comme au lycée » dans Repose en paix. La combattivité qui permet de vivre fièrement dans la rue, d'être digne, devient une qualité pour rapper, est au fondement d'un bon égotrip.
Cela permet aussi de cracher sa haine, et pour la première fois ce n’est plus le policier qui est visé mais le concurrent : « contourne les mc’s à la craie blanche » dans Repose en Paix, « Les négros veulent prendre ma place, ma tek, mes rimes au plasma » dans De mauvaise Augure. On peut y voir la conversion de la haine du flic qu’on trouve dans Lunatic, qui fut censuré et qui est extrêmement politique, à une nouvelle combattivité : celle du clash entre concurrent qui est moins politique et qui n’a pas à être censuré, une sorte de bataille interne. On se bat moins contre la police pour se battre contre les concurrents. Le rap devient moins politique et trouve sa finalité non pas dans le monde social mais en lui même.


B/ Fierté et indépendance


Autre thème présent dans cet album : l’indépendance. En effet, il était dans un label indépendant pour Temps mort. On retrouve pas mal de référence à cette indépendance dans l’album : « Les portes fermées, mon destin est propre à l’autoprod » dans Jusqu’ici tout va bien, « Delabel, Sony ou Virgin. Vous comprenez, mon style n’a pas besoin d'vigiles » dans Ma définition.
Le morceau Indépendant traite directement de ce sujet : « Danger parce que j'l'ai fait en indé
J'men bats la race de rentrer aux bains, négro j'suis blindé », et « On l'a fait tout seul, du sous-sol au toit sans boussole », « j’crée l’émeute mon feutre imbibé d’sang », ou encore « c'est bandant d'être indépendant ».
L’indépendance n’est pas un thème qui sort de nulle part mais se lie bien aux thématiques favorites de Booba. Dans la première citation « les portes fermées » représentent le show biz, le monde bourgeois, le monde blanc. L’autoprod est une réponse au racisme qui structure sa destinée en tant que noir. On retrouve le show biz dans la référence à la boite de nuit bourgeoise des bains. Le boycott du show biz pousse à se faire seul, ce qu’on retrouve dans la phase : « on l’a fait tout seul du sous sol au toit sans boussole ».
Booba fait ici de nécessité vertu. Ce qui était son destin (ne pas être aidé par le show biz) devient sa fierté, à la fin ça le fait même bander, c’est la conclusion du morceau indépendant. Fier de ne rien demander à personne, comme lorsqu’il écrit : « Les lois, les droits, j'me les donne, pour m'aider, j'demande à sonne-per » dans De Mauvaise Augure. C'est aussi un certain atout parce que cela lui permet de respecter son écriture et de ne pas se censurer : « mon style n’a pas besoin d’vigile », « danger parce que j’l’ai fait en indé », « j’crée l’émeute, mon feutre imbibé d’sang ».
L’indépendance est donc une porte de sortie en tant que noir : « Pour eux, si t'es black, d'une cité ou d'une baraque, T'iras pas loin, c'est "vends du crack ou tir à 3 points" ». Elle devient ensuite un motif de fierté, on se fait seul, on demande rien à personne. Fierté qu’on retrouve dans tout le premier album et dans celui-ci. L’indépendance est enfin, un moyen pour garder un message cru, ce qui caractérise les Lunatic depuis le début de leur carrière : « à chaque mot ça pue la censure, le rap c’est pour ceux qu’habitent au septième sans ascenseur » dans si tu kiffes pas.


3/ Conclusion : Booba est-il en train de quitter Lunatic ici ?


Dans les grandes lignes non et au contraire il prolonge le travail de Lunatic en respectant les lignes principales : antiracisme, combattivité axé contre la police, fierté, valorisation de l’illicite.
On voit apparaitre certains changements tout de même avec le début de l’esprit clash qui, tout en étant en continuité avec la combattivité propre au Lunatic, s’en différencie car la combattivité des Lunatic était une réponse à la vie de rue, aux violences policières et au racisme. Alors que le clash n’a pas vraiment un sens fort, on a l’impression que c’est un peu un jeu, une manière de se battre contre des punching ball.
L’illicite est moins abordé et c’est peut être le thème de l’indépendance qui le remplace. Cette indépendance permet de gagner de l’argent en ne demandant rien à personne, de briller sans ramper comme le biz le permettait avant : « le biz fait briller les g’s », « je suis hors la loi devant elle je veux pas ramper » dans Le crime paie.
Une dernière différence est qu’il y a moins de référence à la religion. Celle-ci ayant une importance politique dans le groupe Lunatic, une importance communautaire et culturelle. On peut imaginer que c’est peut être le thème de la réussite musicale qui va remplacer ce moteur de fierté noire que permettait l’islam à Ali. La force, économique et sociale, que permet la réussite musicale fait que Booba va moins chercher une force morale et culturelle dans la religion comme cela se faisait dans le premier album : « nique la justice, il n’y a que dieu qui peut me juger » dans le morceau Mauvais Œil, devient : « j’m’en bas la race de rentrer aux bains négro j’suis blindé ». Le contre modèle aux jugements racistes n’est plus Dieu, mais l’argent. On voit ainsi le nouveau Booba apparaitre sans qu’il y ait pour autant une rupture radicale avec Lunatic.

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le 12 déc. 2019

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rorolili

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