Terror Twilight
7.3
Terror Twilight

Album de Pavement (1999)

Avec le producteur vedette de l'année, Pavement polit les angles mais demeure une exceptionnelle cellule de crise. C'est pas trop tôt, Pavement va pouvoir engranger les deniers du culte dont il est l'objet depuis quelques années. Sans doute un peu fumasse de constater que tout le monde à part lui savait faire du Pavement à des fins lucratives ­ c'est même devenu une expression : faire le trottoir, n'est-ce pas Blur ? ­, Stephen Malkmus a décidé de frapper un double grand coup : d'abord en engageant le producteur le plus en vue du moment (Nigel Godrich, l'homme des OK computer, Mutations, etc.), ensuite en s'octroyant pour la première fois le luxe d'un studio 24-pistes insolent de confort. Tout ça au risque de passer pour un hérétique auprès de son arrière-garde lo-fi la plus intégriste pour qui un magnéto à cassettes en état de marche est déjà un objet de Satan, et un ingénieur du son (même manchot) Belzébuth lui-même. Désormais, Stephen voit grand, plus grand encore que lorsqu'il confiait il y a deux ans (sur un Brighten the corners déjà sacrément poli aux angles) son joyeux bastringue à Mitch Easter pour en canaliser les fuites et en colmater les brèches. Avec Godrich, un type si puissant qu'il a récemment transformé la citrouille Travis en carrosse d'or, Malkmus a trouvé un partenaire de double idéal. A lui les compositions en colimaçon, les refrains bizarroïdes, les ponts qui traversent en biais les chansons, à Nigel les plans tirés au cordeau, les gracieux déliés des guitares qui caressent les couplets, les grands espaces entre les notes, l'équilibre général des ingrédients. Pavement a atteint cet âge (10 ans) et ce degré de maturation (cinq albums) qui interdisent les enfantillages, engagent à remettre ses principes en question et à faire quelques entorses à son bréviaire. Courageusement, Malkmus accepte de dévoiler son profil le plus affable et, lâchons le mot qui fâche, le plus consensuel. Attention, ça n'interdit pas les déraillements ponctuels et ça n'entame en rien la fracasserie aiguë des textes ("J'irai jusqu'au crématorium fumer tes restes", entend-on sur un titre, ça explique certaines choses), simplement Pavement prend le temps désormais de laisser filer les mélodies sans leur tirer obligatoirement dans le dos, conçoit qu'une pop-song ne tourne pas obligatoirement en partie de stock-car, qu'une ballade ne soit pas nécessairement pavée d'embûches. Velvet un jour, Velvet toujours, Pavement s'attaque cette fois de front au troisième album de ses héros, celui du repos attentif et des arpèges domestiqués, limite les accès de fièvre à quelques saillies hendrixiennes (Cream of gold, Platform blues) mais circonscrit la plupart des départs de feu sous des litres d'harmonies neigeuses et calme les pires rougeurs sous de généreuses couches de baume apaisant. De la même manière que charmer un serpent n'a jamais permis d'ôter son venin, les chansons de Pavement conservent la même violence intestine, leur niveau exceptionnel ici autorisant simplement à plus de maîtrise sur la forme sans que l'épaisseur dramatique et la tension interne n'en aient à souffrir. Souvent, Pavement rappelle les Kinks de la fin des années 60 (Spit on a stranger, l'hallucinant Billy), quand les grincements de gorge s'accordaient en douceur avec le relâchement des nerfs, que Ray Davies commençait à sentir poindre le début d'une tombée en désuétude et qu'il s'apprêtait à muer en chroniqueur allusif de la lente décrépitude des vanités. Terror twilight (on méditera longuement ce titre) a beau être son album le plus accessible, le charmant ...And carrot rope son single le plus poppy et attachant, Pavement, qu'on se rassure, est encore loin de ressembler à Hollywood Boulevard.(Inrocks)

bisca
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le 12 avr. 2022

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