Si la vie des Swans n’a jamais été un long fleuve tranquille, une forme de paix et de quiétude semble pourtant traverser ses eaux discographiques depuis quelques années maintenant. Non pas que leurs performances demeurent moins intenses (ceux qui ont eu la chance d’assister à l’une des Grand Messe du groupe le savent mieux que quiconque), mais l’avènement de la seconde ère du projet avec sa reformation en 2010 semble tendre désormais vers autre chose que l’expérience des limites qui a fait sa renommée depuis le milieu des années 80.
Radicaux, les Swans le seront toujours, et heureusement. Mais pour leur sixième album studio depuis la fin du hiatus – le seizième donc en réalité, si l’on excepte les albums lives, EP’s et autres publications parallèles – Michael Gira semble, dans ses textes comme dans ses choix de composition et d’arrangements, se livrer plus que jamais sur ses questionnements face à la mort. Comme si, à la lumière de ses soixante-neuf ans, celui-ci ne pouvait plus détourner les yeux du crépuscule de sa propre existence. Une existence vécue à travers l’esprit, dans les méandres plus ou moins mystiques s’offrant à lui au cours de ses pérégrinations spirituelles, mais aussi dans le corps, ce fameux corps qui emprisonne et conditionne chaque geste, chaque mouvement tout en lui donnant une forme, une puissance, un impact. Passer par la peau, le sang, la chair, les tripes, les os sont ici les seules conditions pour accéder, comme sur la pochette de ce nouvel album, au cœur du projet. Jamais avare en images quasi chirurgicales, les Swans surprennent ici avec la présence prédominante d’un champ lexical lié à l’environnement et à la matière. Des mondes telluriques mais aussi aquatiques et végétaux puisque pierres, roches, montagnes, lacs, océans, plaines, collines, forêts, ciel, nuages et étoiles peuplent ce disque qui alterne entre le micro (le corps, les organes, les particules) et le macro (les matières, surfaces, planètes et univers). Des images d’Épinal qui accompagnent l’émergence de la notion d’un paradis jamais réellement cité (pas même dans le titre Paradise Is Mine) que l’on imagine plus proche des neufs cercles de l’enfer de Dante que du jardin d’Eden. Avec un mendiant (The Beggar) qui semble, lui aussi, plus proche de Diogène de Sinope que de Saint François d’Assise.
Entouré des fidèles Kristof Hahn (lap steel guitar), Chris Pravdica (basse, claviers) et Phil Puleo (batterie), Michael Gira a fait ici également appel aux membres de son side-project Angels Of Light pour un versant plus folk conservant toutefois l’intensité et la catharsis caractéristiques des Swans. On retrouve ainsi le vétéran Larry Mullins (Nick Cave & The Bad Seeds, Iggy & The Stooges) aux percussions et aux claviers, la multi-instrumentiste Dana Schechter et, plus étonnamment, le discret mais savant sound-designer Ben Frost. L’album s’incarnant à travers deux tracklisting différents (un exclusivement réservé au vinyle et l’autre pour le CD et les plateformes), force est de constater qu’une savante alchimie fonctionne dans les deux cas, même si celui du microsillon reste sans doute le plus évident. Sans pour autant rendre interchangeable toute logique de construction d’une narration globale, ces deux versions racontent une seule et même histoire, celle d’un homme à la recherche d’une issue, entre transcendance et résilience.
There is no way in, there is no way out (The Parasite)
Tout, dans ce disque, semble pourtant chercher une porte de sortie, un espoir, une brèche, une lumière, une mélodie immuable qui permettra de clôturer le voyage d’une vie. [...]
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