Ceci n'est pas le nouvel album des barbus californiens mais la réédition de leurs plantureux deux premiers maxis, soit douze titres. Les pros du calcul mental auront compris que le terme maxi est loin d'être ici galvaudé. Cet avertissement liminairement posé, gardons-nous bien de douter de l'intérêt de la chose. Comme on envie les veinards qui auront découvert Grandaddy par le truchement de cette poignée de chansons grandies dans l'enfer moite de Modesto, l'envers d'Hollywood, un trou bâti comme une punition divine, un de ces milliers d'Alcatraz anonymes où les entraves sont invisibles mais réelles, les possibilités de fuite bien minces. Pour tromper l'insupportable vacuité d'un quotidien qu'on ne souhaiterait pas à son pire ennemi (à Modesto, le temps s'égrène en Budweiser, les vaches n'ont même pas de train à regarder), Grandaddy monte au grenier chercher les instruments de la révolte la guitare en bois de grand-papa, un ampli à diodes disparu des catalogues et redescend illico à la cave donner corps à une kyrielle de frustrations aussi denses qu'un Epeda. Il y a bien de la rage dans ces chansons-là, mais une rage froide, toute intérieure. Le son lo-fi est ici une nécessité, pas un caprice en 72-pistes. Les nuages abondent, l'orage éclate parfois mais le climat général est doux, tempéré par la belle voix de Burtch, qui évoque le Neil Young des moissons généreuses. Une voix qui, secondée par quelques notes d'un clavier économe, troue de lumineuses éclaircies la tonalité plutôt sombre des textes. On aime ce groupe pour toutes ses facettes. Lorsque la ouate prend le pas sur les watts, marche sur les traces du Yo La Tengo de Fakebook ou de Smog (Gentle spike resort, For the dishwasher) ou quand il se prend la barbe dans ses instruments, comme du Sonic Youth de Washing machine passé à l'essorage (Egg hit and Jack too, Pre merced) ; et même lorsque, méchants comme des teignes et sautilleurs comme des poux (on pense donc à Frank Black), ils taillent un costard sur mesure à la pauvre Kim Deal ("Kim, je te jure que je n'appellerai jamais ma fille Kim", entend-on sur l'absurde Kim you bore me to death). On l'aime aussi pour une raison moins avouable, plus égoïste : Grandaddy nous venge des barbus barbants de ZZ Top. (Inrocks)
Juste avant de nous offrir Under The Western Freeway, un des plus beaux cadeaux de Noël 97, les cinq de Modesto étaient alors uniquement nantis de Eps, dont le fameux A Pretty Mess By This One Band., d'ailleurs plus proche avec ses sept titres du mini-Lp que du conventionnel single. C'est donc autour de ces disques aux formats étranges pour le marché français que s'est construit The Broken Down Comforter Collection. Une compilation qui n'offre donc qu'un intérêt très relatif pour les fans et collectionneurs. Mais qu'on se le dise, pour tous les autres, le plus grand nombre, ce disque présente au travers de ses douze titres bien plus d'arguments que la grande majorité de projets officiels et mûrement pensés. Rares sont les groupes qui peuvent se permettre de distribuer autant de petits chefs d'oeuvre, dont la plupart de leurs homologues auraient sûrement retenu comme véritables pierres angulaires. Tout cela démontre combien nos barbus de Grandaddy sont intarissables et à quel point Jason Lytle ne craint pas la sécheresse. D'inspiration galopante, il semble pourtant qu'avec cette vraie fausse livraison, ses auteurs jouent un rien la montre et s'amusent avec nos nerfs, peut-être pour mieux nous réjouir.(Magic)