Sobrement intitulé "The Collective", le second album solo de Kim Gordon après "No Home Record" (2019), illustre membre du groupe Sonic Youth ainsi qu'icône féministe rock, est une expérimentation en plusieurs strates.
"It’s dark inside"
Une expérimentation musicale d'abord, qui s'illustre par le renouvellement de la collaboration avec Justin Raisen, producteur américain en vogue ayant notamment collaboré pour Yeah Yeah Yeahs, Drake, Angel Olsen ou encore Playboi Carti, et qui amène avec lui des sonorités trap et dub. L'association avec les instrumentations noise rock typiques de Gordon amène à un ensemble expérimental et oppressant, à la croisée de l'électronique et d'un son brut et déconstruit. La guitare y est dissonante et la basse marquée, la progression se fait à la fois attirante et hypnotisante, l'objet musical étant ramassé (à peine 40 minutes) et d'une cohérence subtile et dans le même temps affirmée. Il y a ainsi une harmonie certaine entre les synthétiseurs, cymbales et basses, une frénésie qui entraîne et crie à plein poumons dans le même temps. Quant à la voix de Gordon, grave et rauque, elle ajoute par sa nonchalance et son aspect caverneux et hors-sol au ton cryptique des paroles, d'une bien grande et fausse simplicité en apparence.
"Can I love you with my eyes open ?"
C'est le cryptique propos qui poursuit cette expérimentation globale et donne du corps à l'apparente simplicité, teintée d'improvisations, de l'ensemble au niveau lyrique. La cover épurée du projet en est d'ailleurs le parfait manifeste : nous épousons le regard de cette personne qui nous est inconnue et qui pourrait tout aussi bien être nous, sous l'emprise d'un smartphone qui accapare le regard tout en étant aussi flou que l'environnement l'entourant, isolant l'utilisateur dans son espace restreint forçant à l'individualité dont il est sensé nous prémunir (l'effet est accentué quand l'album est écouté sur une application telle que Spotify, et plus précisément sur mobile : une vidéo se joue en boucle d'un inconnu scrollant sur son smartphone, ce que nous faisons nous-même à ce moment-là). L'individualisme d'une époque certes, mais aussi les chimères du capitalisme. Tout est question d'achats, d'objets, de possession, et plus simplement, d'argent. Le son inaugural "BYE BYE" est d'ailleurs assez équivoque dans cette idée, avec cette liste d'objets à emmener avec soi quand on souhaite fuir quelque chose, et qui s'apparente davantage à un encombrement d'une futilité absolue. On collectionne, on achète, on montre et on se montre avec, parfois ou même bien trop souvent pour l'image que l'on souhaite refléter ou bien pour celle qui nous définit en réalité ("I'm A Man") . A ce vide consumériste ("Dream Dollar") s'oppose une autre chimère, non pas un autre rêve déchu mais un rêve dont on doute un peu plus chaque jour de sa concrétisation : le rêve du "collectif". Ce rêve est une chimère qui hante l'album par son absence planant sur le vide décrit tout au long du projet, mentionné à quelques brèves reprises dans "The Candy House"
I won't join the collective / But I want to see you.
Ce fantôme matérialisé à travers cette fameuse cover entend se révéler à nous, révélant la nécessité de pointer son regard non pas vers l'objectif qui rend tout flou mais vers le dehors et l'ailleurs, qui attend de se former à notre regard reconnaissant.