La terre n'est pas un endroit désertique et froid". "Le coeur non plus", pourrait-on ajouter à l'écoute du second album d'Explosions In The Sky. Comme tous ces groupes qui ont décidé un jour d'en découdre avec les structures couplet/refrain du rock chanté, le jeune quatuor américain se lance à corps perdu dans de longues séquences instrumentales et ondulantes, jouant autant sur la répétition que sur la rupture. Sans révolutionner un genre qui frise parfois l'autocomplaisance, Explosions In The Sky affiche fièrement son goût pour un romantisme sobre, où les tempêtes émotionnelles restent contenues par une basse en pointillés et des motifs de guitares réglés au millimètre. Et c'est peut-être l'absence de grandiloquence et la régularité des compositions qui donnent à chacun des six morceaux cette texture hybride pleine de tristesse et de tension explosive. Même si l'on commence à être familiarisé avec cette musique plus équivoque que directive, plus lancinante que dansante, on ne sait trop quel avenir lui réserver... En attendant, des côtes sauvages battues par les vents des Écossais de Mogwai aux étendues désertiques de ces Texans, le post-rock continue de s'épanouir dans le cadre fermé et pourtant illimité de la mélancolie. (Magic)


Il y a toujours raison de s’interroger sur l’intérêt porté aux albums perdus, dits « cultes », dont la renommée s’appuie davantage sur leur caractère impossible à dénicher que sur leur valeur intrinsèque et artistique. Un véritable piège pour musicomaniaques, car pour un I am the Cosmos de Chris Bell, combien de cafardeuses exploitations de démos des Go-Betweens, Prince et autres exhumations de groupes psychédéliques 60’s mineurs... How Strange Innocence se situe un peu entre les deux : moins bon que ce qui suivra, mais tout de même digne d’intérêt. Tout comme ce fut le cas pour le merveilleux Tigermilk de Belle & Sebastian, le premier album d’Explosions in the Sky a bénéficié de cette intrigante aura : adulée par quelques fans qui ont réussi à mettre la main dessus via Internet, mais reniée par le groupe lui-même jusqu’à présent. Rétrospectivement, ce premier essai n’avait en son temps été tiré qu’à 300 exemplaires. Mais tandis que leur cote grimpait depuis le titanesque Those Who Tell The Truth Shall Die, certains CD-R originaux d’How Strange Innocence se sont arrachés par la suite jusqu’à 200 dollars sur Ebay, voire 500 dollars pour l’édition vinyle vendue uniquement en tournée ! Devant l’appel désespéré des fans de ne pouvoir acquérir un album inédit de leur groupe fétiche, nos explosifs post rocker d’Austin ont cédé, rééditant l’objet avec un nouveau visuel (pour que l’original demeure une pièce de collection ?), remasterisé avec un son présentable. Enregistré en deux jours dans une bulle (les studios Bubble) en janvier 2000 (le livret stipule pourtant juillet 2000), nos quatre texans n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements, mais qu’est-ce que ça bouillonne déjà ! Tiré à l’époque en quantité ultra-limité, il conviendrait peut-être d’en conclure qu’How Strange Innocencefut confectionné à l’intention des proches et amis du groupe, sans ambition aucune que d’immortaliser quelques compositions encore en quête d’identité... Et pourtant, Michael James, Munaf Rayani, Christopher Hrasky et Mark T Smith maîtrisent déjà les ingrédients qui feront d’eux un des groupes les plus passionnants du giron post-rock. Il y a déjà ici, à travers ces 7 instrumentaux épiques - 48 minutes tout de même au compteur - la clé de voûte de ce qui constituera leur style : mélodies apocalyptiques, mélancolie intense et accélérations noisy troublantes. Un peu plus timide dans l’ensemble que son successeur, le spectaculairement rageur Those WHo Tell The Truth Shall Die (2001), How Strange Innocence se rapprocherait finalement de leur troisième opus, The Earth Is Not a Cold Dead Place(2003). Les instrumentaux sont axés sur un son clair, porté par une rythmique qui a tendance à s’emballer. Les mélodies sont filtrées par une guitare n’abusant pas de distorsion mais plutôt un delay profond et cristallin. C’est ce que nous démontre le premier titre, “A song for our fathers”, qui se réveille lentement avec une mélodie très sombre, puis décolle à mi-chemin avec une rythmique jonglant sur un motif glaçant de guitare claire. Si on reconnaît que l’intensité n’égale pas encore les meilleurs morceaux du groupe à venir, cette « étrange innocence » charme assez facilement. Parfois, on sent qu’ils ont manqué le coche de peu, “Magic Hours” nous laisse sur notre faim malgré un début prometteur. On préférera ainsi l’interprétation scénique, plus vengeresse. Pour les amateurs de décibels, “Time Stops”, le titre le plus énervé du lot, réenclenche les pédales distorsion pour un joli final tout en larsen extasié. Malgré un relifting sonique, certaines compos pâtissent toujours d’une production somme toute assez bridée. Mais même si ce disque est le moins bon du lot, on connaît certaines formations post-rock qui se damneraient pour maîtriser une telle tension. (pinkushion)
bisca
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le 24 mars 2022

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