S’il y a un truc qu’il faut savoir concernant les Bo de jeux, c’est que Jeremy Soule est dans son domaine l’équivalent de John Williams ... Star Wars, Harry Potter 1 à 4, Guild Wars 1 et 2, et surtout The Elder Scrolls 3 à 5, c’est un incontournable depuis maintenant 20 ans des registres fantastiques, médiévaux et merveilleux que nous offre les jeux grâce à son style très fluide, posé et construit qui s’y prête on ne peut mieux. Skyrim est justement le dernier en date, et nous fait visiter les contrées nordiques les plus enneigées et glaciales de Tamriel, avec près de 5h20 de musique. Oui, 5h20 !! Bon c’est parti.


La particularité des Bo de jeux, c’est qu’elles sont hybrides entre des musiques de film répondant à une synchronisation image-son rigoureuse, et une composition indépendante qu’aucune contrainte ne régit. En effet, il est par définition impossible de prévoir chaque action à l’avance puisque le joueur prend toutes les décisions. Seul le jeu décide des ennemis à placer, où là, les musiques se déclenchent lorsque l’action s’impose au héros. Par conséquent, cela laisse la possibilité à Jeremy Soule d’une part de composer sur toute une palette de registres (épique, ambiance tendue, folklorique, élégiaque, merveilleux, ...), mais surtout de les développer musicalement aussi longtemps que son inspiration le porte !


Par conséquent, la construction de la Bo sera différente de celle des films : en général, les morceaux retracent le film d’un bout à l’autre, avec parfois des suites propres à l’album (précisément pour développer les thèmes lorsque le film n’en donne pas l’opportunité ou le temps, je pense à HP 2 avec le thème de Fumseck, de Dobby, ...). Ici, sauf exceptions, chaque thème ne fait l’objet que d’un morceau, où il est développé et exploité le plus possible. Ce qui n’empêche pas une immense richesse thématique : « Dragon Age » (reprenant le thème historique de Tamriel présent dans le jeu Morrowind, ansi que le nouveau thème de l’Enfant de Dragon), « Ancient Stones », « From Past to Present », « Wind Guide You », « The Streets of Whiterun », ... tous sont remarquablement bien menés, permettant de passer par toutes les couleurs et toutes les émotions pour donner l’impression d’un dépaysement total, et apporter un soutien grandiose aux superbes paysages. Par conséquent, les musiques ayant tendance à revenir par cycles, vous aurez le plaisir de reconnaître ces thèmes sans jamais avoir l’impression de les avoir entendus 45 fois (le nombre de morceaux créé pour un registre donné étant suffisamment grand). Même si en jouant de manière régulière et responsable (et pas jusqu’à 4h du mat’ une veille de Ds, par exemple, ce qui ne m’est jamais arrivé), vous les aurez quand même entendu 45 fois.


Pour comprendre à quel point la musique donne une dimension supplémentaire au jeu, parlons de l’orchestration à travers les différents registres : avec l’écriture mélodique, c’est l’énorme point fort de Jeremy Soule. Nous avons droit à absolument tout ce qui compose l’orchestre, couplé avec de nombreuses modifications de timbres de certains instruments (particulièrement les timbales et parfois les voix), une harmonie très versatile (celles des cordes est tout simplement superbe, allant de la plus grande douceur et sensibilité jusqu’à des effets chromatiques saccadés et irréguliers, en passant par des complaintes lentes et élégiaques : comparez respectivement « Far Horizons », « Tooth and Claw » et « Solitude »), ainsi que des sonorités beaucoup plus recherchées pour ce qui est de l’ambiance tendue.


Tout d’abord, intéressons-nous au registre folklorico-médiéval (entendus dans les villes comme Blancherive, Faillaise, Markarth, Solitude, ...) : il s’agit d’un univers qu’il exploitait déjà magnifiquement bien dans Morrowind et Oblivion. L’écriture sera très souvent modale (s’opposant au tonal dominant avec les fameuses gammes majeures et mineures, permettant de proposer de nouvelles couleurs), valorisée par du luth, de la guiterne, de la harpe, et même de la viole de gambe, l'ancêtre médiéval du violoncelle : elle est ici utilisée dans le palais des jarls avec de l’écho lui donnant cette intensité et cette profondeur. On reconnaîtra des flûtes alto, à bec, les cordes du piano (ce sont ces fameuses notes pétillantes à la Sherlock Holmes), bref, c'est d'une richesse incroyable ... Les bois garderont toujours leurs sonorités naturelles dans cette Bo : leur beauté naturelle est très bien exploitée à travers des couplages, et surtout grâce à leurs entrées, pensées pour être fluides et aériennes (appogiatures, broderies, ces petites notes subtiles "brodées" autour des principales) et donc apporter de la douceur à l’ensemble : « The City Gates » l’illustre parfaitement bien, lorsqu’ils se substituent aux cordes. A noter les quelques chansons dans le plus pur style médiéval que l’on entendra dans les auberges, retranscrites instrumentalement dans la Bo (pas de tête de rouquin dans la Bo, donc) : flûtes traditionnelles dans « A Chance Meeting », luth et guiterne dans « Around the Fire », ...


Mais ce qui provoquera vraiment l’orgasme auditif, ce sont les musiques en extérieur, où l’émerveillement face aux paysages et à la beauté de la musique surpasse tout le reste : les cordes sont mises en avant, tantôt en exposant les thèmes amples à l’unisson (leur donnant cette clarté si appréciable « From Past to Present »), tantôt en soliste en développement fluide et posé (« Wind Guide You »). Les bois se montrent moins chaleureux et aériens (« Distant Horizons »), exposant des motifs plus lents et intenses grâce aux choix de l’orchestration. En effet, le couplage des chœurs graves et des cordes procure un effet assez proche de celui du Seigneur des Anneaux, dans l’intention de retranscrire toute la légende du cadre en développant les arguments de manière très posée et cadencée, valorisant la noblesse naturelle de ces instruments (caractère ample propre aux chœurs) : « Unbound », « Masser », ...


L’utilisation d’une harmonie et de modes assez sombres permet de donner à l’ensemble cette douce mélancolie : les instruments donneront tous l’impression d’être un peu ternes, mais pas ne sont pas moins dénué de beauté car ils donnent une toute autre dimension aux images au fur et à mesure que le personnage parcourt les contrées de Bordeciel. Les cordes y jouent un grand rôle, grâce aux notes aiguës continues des violons en soutien (« Under an Ancient Sun » en est l’exemple parfait). Vous les repèrerez assez facilement, et vous verrez que ce sont elles qui donnent ce léger fond sonore =) Il y a tant à dire sur les enchaînements harmoniques (pas forcément complexes, mais pour le moins variés et efficaces) qu’on ne peut pas tout développer : vous risqueriez de finir le jeu avant mon analyse ^^


Le timbre assez étouffé du cor français est exploité à fond, donnant cette sensation à la fois de liberté et de profondeur : les motifs qu’il joue sonnent comme une douce plainte dans « The White River », magnifiée par les trompettes qui l’accompagnent. C’est cette mélancolie dans le geste que l’on retrouvera dans bien des morceaux qui leur donnent un charme fou : les chœurs féminins éthérés et amples (« Tundra », « Frostfall », ...), notes continues aux violons, ... toutes ces sonorités lointaines et calmes s’accordent magnifiquement bien au thème de l’hiver dans lequel Jeremy Soule excelle : à l’image du violon frêle et sensible de « Wind Guide You », elles instaurent une impression de fragilité, comme si l’équilibre pouvait se rompre à tout moment, mais que la magie perdurait toujours plus longtemps. De nombreux morceaux mettent en avant ce thème en particulier, récurrent dans cet opus puisque Bordeciel est une contrée majoritairement enneigée).


Au niveau des musiques d’ambiances souterraines : là aussi un énorme travail est fait sur les sonorités, pour ne pas laisser vierge de musique toutes les phases d’exploration en intérieur. Obscurs et lugubres, les cités dwemers, les caves falmers et les sites funéraires où les draugr ont élu domicile possèdent chacun un cadre particulier : par exemple, les souterrains creusés dans la glace sont accompagnés par des chœurs ... pas froids, mais assez glaçants pour le coup (« Beneath the Ice »). « Silent Footsteps », « Silence Unbroken » et bien d’autres morceaux ne sont bien évidemment pas faits pour être musicaux, mais plus pour apporter les sonorités les plus feutrées et instables possibles (les chœurs agissent comme un fond sonore des moins rassurants), tout en s’enchaînant de la manière la plus fluide possible, ce qui réussit vraiment à mettre dans l’ambiance quant on parcoure des galeries souterraines assez peu sécur'.


Passons aux musiques d’actions, au nombre de 5-6 : ce n’est pas le point fort de Jeremy Soule pour une simple raison. Un jeu possèdant par définition un déroulement imprévisible, ses musiques d’actions ne pourront pas être aussi riches en points de synchro et en effets orchestraux qu’une Bo de film (je dis pas que c’est impossible d’en trouver, mais qu’elles ne seront du coup pas de « bonnes » musiques d’action de jeu). Je m’explique : contrairement aux musiques de film, on a tendance à entendre plusieurs, voir beaucoup de fois les mêmes musiques ! Donc si les effets orchestraux sont trop saillants, les arguments trop mis en valeur et enchaînés trop rapidement (comme les points de synchro d’un film), la musique sera biodégradable et deviendra très vite saoulante. Du coup, il a tout intérêt à instaurer une rythmique dynamique reconnaissable, sans pour autant des éléments trop marquants. Chaque musique d’action est basée sur une trouvaille simple : « Watch The Skies », attitrées aux dragons, possède un rythme très exotique nommé 7/8 (il s’agit d’une mesure binaire ôtée d’une croche ! Chantez la marche Impériale en 8/8, puis celle-là, et verrez la différence), provoquant un effet d’accélération saisissant. « Tooth and Claw » répète 3 notes aux cordes pour chaque temps (une sur le temps, une légèrement avant et une légèrement après) pour créer un décalage tenant le joueur en haleine. « Blood and Steel » exploite un registre très fataliste en utilisant trombone et chœurs à un rythme assez lent, ... Toutes ont en commun une trouvaille bien particulière, donnant de l’identité au morceau, et le développe sur 1 ou 2 minutes en valorisant les timbales (dont les timbres varient toutefois en fonction des pistes, pouvant être profondes ou assez saillantes), les chœurs, et les cordes hachées pour le plus souvent en ostinato.


Bon, à ce stade, vous suffoquez, et surtout vous vous dites « Et le main theme, connard ? On l’entend pas tellement dans les tavernes, celle-là ! ». J’y viens =) Dragonborn, bien sûr, a eu la superbe idée d’utiliser la thématique même du jeu pour créer le thème musical de l’Enfant de Dragon : le chœur de « barbares » comme ils l’appellent, composé de 3x30 choristes mâles, donne naissance à un chant très puissant et énergique, créant d’une part un motif à la construction assez sobre (antécédent-conséquent) dont les paroles proviennent directement de la langue draconique inventée par le jeu, et surtout le thème principal des Elder Scrolls (motif et ostinato aux timbales récurrent depuis Morrowind). En effet, le thème historique est restitué de manière beaucoup plus dynamique, tant par les cuivres que par les voix elles-mêmes : très cuivrée et marquée par les percussions, l’ensemble te donne vraiment envie de tabasser des dragons à la pelle tant sa variante « One They Fear » transcende chacun de tes mouvements (je suis sûr que passer l’aspirateur avec cette musique te donne l’impression d’accomplir une mission divine ^^).


Enfin, au niveau de l’utilisation de la musique ... ben c’est parfait, elle est absolument omniprésente : dans les villes, les cavernes, les montagnes, les plaines, ... même dans les bistrots, y’en a (et non, les mecs chantent juste, ils n’ont pas poussé le réalisme jusqu’à les faire brailler avec 4g d’hydromel par litre). La musique ne s’arrête jamais, que ce soit dans l’inventaire, ou dans les menus. A noter le morceau « Skyrim Atmospheres » de 42 min (oui, c'est un gros morceau) comportant tout le travail d’ambiance effectué en matière de sonorités naturelles (bruit de cascade, vent, orage, oiseaux, ...), artificielles (écho, fond sonore, ...) accompagnés par quelques instruments (harpe, ...). La parfaite musique de relaxation tibétaine, en somme. La fluidité entre les morceaux est également bien réussie, même si la transition de fin des musiques d’actions peut se montrer un peu précipité quand on a buté un ennemi pourri un peu trop rapidement pour la musique (vous pensez aux chevreuils mais non, il n’y a pas de musique pour les combats contre les chevreuils). Ceci dit, comparé à Oblivion, c'est déjà mieux, la manière dont elle s'arrêtait NET était complètement anti-épique pour le pauvre ennemi ^^.


Voilà, bon j’aurai juste pu dire que c’était jouissif, mais à ce compte-là, je peux aussi résumer la carrière de John Williams avec le même mot, du coup je développe un peu : au niveau de l’orchestration, des motifs, de la richesse des registres exploités, tout est somptueux et remarquablement bien mené. Cette Bo accomplit l’exploit d’être appréciable même après des heures et des heures de jeu, ce qui n’est pas le cas pour toutes les musiques de jeu. Mémorable et discrète, elle épouse avec brio les graphismes et reste omniprésente, permettant au jeu d’exprimer tout son lyrisme (et au personnage ses envies de meurtres). La meilleure Bo de Jeremy Soule, et pourtant y’a de la concurrence au sein de ses propres créations. Légendaire !

Soundtrax
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le 6 avr. 2015

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