The Future Now est étonnant sous tous ses aspects. D'abord cette pochette avec cette photo incroyable d'un Hammill à moitié rasé, à moitié barbu. Le concept était poussé encore plus loin sur le feuillet du disque vinyle. On pouvait ouvrir à moitié ledit feuillet et se retrouver avec un Hammill soit barbu soit rasé. Ensuite les paroles étaient écrites tellement petites qu'elles en devenaient illisible. D'ailleurs Hammill me confia qu'il le regrettait un peu et aurait aimé les avoir un peu plus grosses. Bref tout le concept de mise en image de l'album portait un déséquilibre fascinant...jusqu'à la tête renversée de la pochette arrière avec un Peter se tapant l'œil et à l'intérieur un Peter essayant d'arracher sa barbe !....Tout est déséquilibré comme ce futur devenu notre présent.
À sa sortie, cet album se retrouva à la première écoute, moins aride qu'un In Camera mais oh combien ensorcelant! J'avais entendu 2 morceaux live en juin 78 à l'Outremont , alors que l'album n'était pas encore sorti. (ces deux morceaux joués à l'époque lors de la tournée Américaine de février 78 et de la mini-tournée Québécoise se retrouve sur la réédition)J'étais donc très affamé de découvrir tout cela.
Au moment de sa conception,Hammill a 29 ans et la peur d'être fini ne le hante pas trop mais le combat pour sa survie en tant qu'artiste continue. C'est le premier titre: Pushing Thirty. On n'est pas loin du son de Polaroïd, l'esprit de Nadir flotte et le son a quelque chose d'un peu canne de conserve au niveau du drum. Jaxon y fait une belle apparition.Les paroles sont délicieuses et pleine du feu du survivant . Oui comme le chante à la fin Peter: “ je peux encore être Nadir, j'ai un cœur de 16 ans”
The Second Hand (la trotteuse sur la montre) est un morceau assez fascinant. Parti d'une improvisation sur la boîte à rythmes, on est étonné et dérouté devant tant d'inventivité et d'amusement maîtrisé. Jaxon y brille encore.
Trappings est un petit chef d'œuvre sur les pièges du succès. La basse de Peter est aquatique, les voix superposés sont hypnotisantes et la guitare électrique très Fripp. À cette époque, (comme Peter me l'a dit) il sort des enregistrements de l'album solo de Fripp: Exposure et celui-ci lui a montré quelques trucs. Peter s'en sert à merveille. Trappings est une expérience fascinante à tous les niveaux et les paroles sont sans pitié mais la voix en est pleine.
The Mousetrap est une chanson sur les pièges qui guettent l'artiste. The Mousetrap est aussi une pièce de théâtre (Agatha Christie) qui joue à Londres depuis 40 ans (à l'époque) et l'acteur y est pris comme dans une trappe à souris. La richesse de la métaphore qui s'applique au développement de Hammill, est fabuleusement riche. Hammill constate qu'il aurait aimé être “ a leading light of the stage” mais il s'est résolu au silence. Les allers-retours entre l'acteur prisonnier et le chanteur déçu sont vertigineux. Une mise en abime absolument géniale ! Et que dire du traitement musical ? : Une finesse éblouissante posée sur une mélodie inoubliable. La superposition du piano et des synthés est absolument hypnotisante et nous plonge dans la douleur du texte et quand tout se termine, se mêle à la voix déchirante de Hammill son questionnement, celui-ci se demande s'il reste quelqu'un derrière le masque... à fendre le cœur!
Le musicien a donné son spectacle, on ne sait plus trop ce qui en reste...mais voici venir le backstage et Hammill terrifié dans un coin de sa loge trouve dans Energy Vampires la métaphore parfaite pour parler des vampires de l'industrie. Le violon fou de Graham Smith rend toute la schizophrénie de l'artiste. Oh les voici, prêts pour leurs repas: Vampires ! Juste terrifiant!
If I Could est une séquelle de Over , le précédent album solo, pour sûr. Il fallait voir l'impact sur le public, quand le disque n'était pas sorti, de la phrase d'ouverture : “ Vous devez être fou de rester ici” . Celui-ci partait à rire. La version studio est la plus riche, car cette chanson simple a besoin d'arrangements pour être efficace. Ici c'est réussi ! Violon inspiré, guitare acoustique, superposition en chorale des voix. L'impuissance de communiquer à son amour ses sentiments est au cœur du texte, le silence devant la télé, si seulement il pouvait parler...mais il sait qu'elle va le quitter et la parole n'en n'est pas déliée...Rarement un artiste a-t-il mis à nu aussi bien, la complexité de l'homme en relation amoureuse.
Et voici venir l'homme moderne, le futur maintenant et tous ses désastres, ses rêves, ses promesses. C'est le phénoménal The Future Now. Où est la terre promise? les tables de la loi de Moïse ne sont plus qu'un poster, Hammill cherche le moindre signe d'espoir dans le futur. Il veut briser tout ce qui rend notre vie si petite. Musicalement la guitare électrique n'a jamais autant sonné que si c'était Fripp qui jouait, la folie s'empare du morceau et Hammill nous crie qu'il cherche une raison d'être fier dans cette humanité. il veut voir le tout sur écran géant, enfin voir la lumière; faire que la vie vaut mieux que les rêves ! Colossal texte sur une musique en coups de fouet!
Still In The Dark est la conséquence textuelle logique à la chanson précédente. Oui nous sommes encore dans les ténèbres! Cette chanson rarement jouée en concert, est une pure merveille tant au niveau du piano que des synthés et vocalises qui nous rapprochent encore d'un In Camera, en plus sobre et plus précis. Hammill se ramasse et maîtrise ce 3 minutes 41 d'une façon phénoménale. Et pourtant quelle richesse au niveau des instruments, quel contrôle incroyable sur la production !
Mediaeval s'ouvre sur un chœur incroyable, on est dans une d'église et hammill récite son texte sur lesdits chœurs. Dès la première écoute je fus sidéré, je le suis encore......ses: Aoum qui s'étirent, la guitare Frippienne qui envahit tout et la reprise des chœurs c'est absolument EXTRAORDINAIRE...et la réponse à toutes nos prières est une valium sur notre table de nuit.....On plonge dans les ténèbres du monde moderne et son moyen-âge et l'athée qu'est Hammill se révolte et il a peur que le Moyen-Âge soit installé pour toujours si nous ne réagissons pas.... Que dire de plus ?
A Motor Bike in Africa est sur l'apartheid et Steven Biko, bien avant que Gabriel n'utilise le sujet de façon plus accessible. Ici Hammill s'en donne à cœur joie sur la boîte à rythmes et le son de cette moto anglaise qui décolle nous plonge dans l'Afrique de façon fulgurante. Tout cela est oppressif comme l'est l'apartheid. Et pendant ce temps regardez les prier ! Les corps de Soweto et de Biko, le son des bottes sur le plancher Boum BOUM BOUM BOUM In Africa today ! Vertigineux, sanguinaire !
Sombrons maintenant dans la folie de The Cut...déroutant cette chanson sur la chanson qui nous dit qu'aujourd'hui tout est trop léché, tout est trop bien produit, le disco se tient bien droit...Regard cynique sur The Cut...on est pris dans un cauchemar qui rejoint celui de Pete Sinfield dans 21 st Century Schizoïd Man par l'esprit.... Il faut croire qu'il existe une raison de croire dans The Cut....après tout le contrôleur d'air nourrit la stéréo sonique opiacée (smack)...Les paroles sont le miroir de tout cette angoisse ....et la fin qui déraille est digne d'un cerveau de fou dans une asile.
Cette finale nous mène au piano frappé qui introduit Palinurus, ce marin qui se perdit en mer. Palinurus est LE MORCEAU le plus bouleversant de l'album. Du chant de Hammill si tendre, si douloureux, si pur au piano déchirant supporté par les synthés aquatiques c'est de l'immense Hammill. Et quand l'harmonica s'élève on craque.... Palinurus est un des plus grands morceaux de Hammill.Les synthés qui se promènent de droite à gauche donnent l'impression d'une noyade, d'une attraction vers les fonds marins vertigineux...Tout cette finale me laisse cloué, pris d'un vertige nous sombrons dans l'univers désespéré de la noyade intérieure de Hammill ou est-ce celle de Palinurus ? Plus d'importance , l'homme est universel dans sa douleur et notre cœur se brise quand Hammill chante: “Me, I've got dull reactions, protraction of doubt as well,
so it's no more abide with me, over the side with me...”...Un moment nous sommes prince de l'océan et le suivant nous sommes sous le radeau... avec lui...
Nous quittons ce disque enseveli nous aussi par la marée...
The Future Now est une œuvre brillante de concision, de sensibilité, d'exploration et de maîtrise du studio. Il fait partie des 3 albums de chansons courtes que Hammill pond durant les années 70. (avec FM et Nadir). Peter atteint ici , peut-être, le pinacle de son travail qui pourrait le rendre accessible au public. Par la suite seul Sitting Targets revisitera le style : chansons courtes avec autant de panache! On ressort ce cette écoute les sens et l'âme complètement repus de beautés musicales inconnues dans notre cervelle avant ladite écoute....Et on se demande encore une fois comment un artiste peut-il porter tout cela dans sa tête? cet univers si inconnu de nous pauvres mortels qui ne portent pas la musique....
PS: La réédition de 2006 comporte les deux titres joués à l'époque en concert de l'album. Il s'agit d'extraits de Skeletons of Songs (Kansas city février78, voir ma critique). Les titres s'imposaient commercialement pour attirer le rachat par les fans du remaster...mais, comme cela arrive souvent, je préfère la finale de l'album sur Palinurus. Même si la version de The Mousetrap est tout simplement géniale.