The Game
7
The Game

Album de Queen (1980)

Nous y sommes, 1980, Queen a marqué la deuxième moitié des années 70 par son style flamboyant et c'est tout de cuir bardé que le groupe aborde cette nouvelle décénie.


"The Game" est le huitième album de Queen, il marquera une nette rupture déjà un peu amorcée avec "News of the World", dans l'horizon musical du groupe. D'abord, il marque le début de l'usage du synthétiseur, chose improbable aux débuts de leur aventure, l'absence de l'instrument était même clairement proclamée dans les notes des albums ! Ici il s'étale sans vergogne, dans tous ses effets plus ou moins bienvenus, nous le verrons. Ensuite, second fait d'une importance majeure et là il suffit de feuilleter le livret de la version CD pour s'en rendre compte, ce dés la première page : là, posant comme si de rien n'était, accoudé à une balustrade de balcon, Freddie Mercury arbore fièrement UNE MOUSTACHE ! La rupture est consommée, il y aura, pour ces deux raisons (dans des mesures différentes certes mais tout de même) un avant et un après "The Game".


"Play the Game" est l'introduction logique à cet album. Le morceau nous accueille avec une boucle suraigüe de synthétiseur s'enchaînant sur une introduction plus conventionnelle au piano. Non mais que se passe-t-il dans cet album ? L'introduction brutale du synthétiseur dans la musique de Queen a de quoi dérouter. On aurait pu y aller par petites touches pour nous acclimater, mais non, dés les premières secondes du premier morceau, c'est un déluge synthétique qui se répand sans vergogne dans nos oreilles. Peut-être que tout cela n'est qu'une subtile manoeuvre de diversion dont le but est de nous faire oublier la MOUSTACHE, toutes les théories se valent. En tout cas ça n'a guère fonctionné car, si jadis les fans de Queen lançaient des fleurs au chanteur durant les concerts, à partir de là ce seront des rasoirs qu'ils lui enverront, témoignage désespéré du rejet violent de cette nouvelle pilosité faciale explicite. Bien, qu'en est-il de la chanson ? A vrai dire il s'agit d'une ballade de Freddie Mercury, tout à fait classique finalement, qui traite de l'extrême complexité des rapports amoureux et de la part de jeu qu'ils comportent. Le synthétiseur ne fait finalement qu'ajouter une dimension un peu étrange au morceau ainsi qu'une certaine froideur. Bon, il n'est pas tout à fait nécessaire avouons-le mais il a quelque chose de ludique (facile) qui colle au thème. On dirait un peu que le groupe s'est trouvé un nouveau jouet pour être honnête.
"Dragon Attack" est un morceau de Brian May dominé cependant par la basse de John Deacon qui nous fait ici une belle démonstration de son talent. Le morceau est assez dépouillé, le chant de Freddie Mercury, presque a-capella alterne avec la mélodie principale lors des couplets où la basse prend son ampleur. John Deacon nous gratifie même d'un solo de basse très réussi, un brin funky, vers la fin de la chanson. Cette chanson aurait sa place sur l'album "Hot Space" à venir pour son côté dansant qu'on n'avait encore jamais trop entendu chez Queen. Enfin en parlant de ça...
"Another One Bites the Dust" est le morceau qui synthétise le mieux ce nouvel aspect du groupe. John Deacon signe ici, ni plus ni moins, qu'un des morceaux les plus réussis de Queen et presque tout seul. Le bassiste, discret, refusant de chanter la moindre note, recycle une ligne de basse de Chic pour la rendre autrement plus menaçante, joue de tous les instruments pour la peine, (s'adjoignant les services tout de même de Brian May pour le solo riche en effets spéciaux et de Roger Taylor pour le petit solo de batterie) pour pondre ici le plus grand succès commercial du groupe ! Le morceau sera classé numéro 1 dans diverses catégories (y compris la catégorie black music aux USA (!)). Freddie Mercury n'est pas en reste pour autant, il remplit ici son rôle à merveille, menaçant, arrogant et très motivé. La basse est absolument implacable, la rythmique imparable, presque martiale mais irrésistiblement dansante. La guitare rythmique, de John Deacon donc, est funky à souhait, s'autorisant quelques fioritures au milieu de cette mécanique bien huilée (comme Freddie Mercury dans certains clips). La partie de guitare aux multiples effets de Brian May n'est pas aussi envahissante sur ce morceau que dans "Get Down Make Love" par exemple et apporte une dimension étrange mais bienvenue à la chanson par ailleurs très carrée et qui ne comporte pas, pour le coup, de synthétiseur. La structure de ce morceau est un modèle du genre, rien n'est en trop et rien ne pourrait être retiré sans rendre l'édifice bancal. Quelque part John Deacon offre ici à Queen son morceau le plus formellement abouti, et sans doute le plus efficace. S'il emprunte bel et bien au groupe funk Chic, sa rythmique sera par la suite revampée avec respect par The Clash dans le morceau Radio Clash. La légende dit que c'est Michael Jackson qui aurait par ailleurs conseillé au groupe d'utiliser la chanson comme single. Le choix est judicieux, il faut le reconnaître, et il est assez impressionnant de se dire que c'est bel et bien le même groupe qui a publié quelques années plus tôt "Bohemian Rhapsody" avec lequel il ne semble avoir aucun lien de parenté. Ces deux morceaux sont pourtant le meilleur moyen de se représenter l'éclectisme du groupe ainsi que sa faculté à produire des morceaux universels dans deux styles apparemment radicalement opposés. John Deacon aurait pu nous prévenir avant de nous lâcher face à cette création. (A noter également que lorsque le refrain de la chanson est joué à l'envers sur une platine, aucun message caché n'apparaît, ce serait idiot et personne n'a attendu la publication de ce single pour fumer de la marijuana.)


"Need Your Loving Tonight" est un autre morceau de John Deacon. Cette fois encore ce sera un single, cependant il n'aura pas un succès à l'ampleur comparable au morceau précédent. Il s'agit d'un morceau pop rock plutôt classique, agrémenté de guitares bien senties. Le ton est assez enjoué et c'est sans doute la chanson la plus légère de l'album.
"Crazy Little Thing Called Love" arrive alors comme une excellente surprise. C'est une chanson que Freddie Mercury aurait écrite dans son bain. Prendre un bain semble donc être un excellent moyen de renouveler sa créativité puisque de tous les genres effleurés par Queen, le rockabilly a étrangement été ignoré. Le mal est réparé avec cette chanson qui n'est rien de moins qu'un rock'n'roll tout à fait classique, executé avec un plaisir non dissimulé par le groupe. Le morceau est donc l'oeuvre du chanteur qui signe aussi les parties de guitare rythmique accoustique ce qui est une grande première. Lors des concerts ils ironisera souvent sur le fait qu'il soit un piètre guitariste avant d'attaquer les premiers accords du morceau. Freddie Mercury signe ici un hommage à Elvis, tout en offrant au groupe un succès retentissant tout autant qu'inatendu avec cette chanson bien loin des influences habituelles du groupe. Les choeurs, ici de nouveau présents, prennent une forme étrangement désincarnée et presque fantômatique.
"Rock It (prime jive)" semble de par son titre emboîter le pas de la chanson précédente (rien à voir avec le morceau de Herbie Hancok pourtant pas avare en synthé là), et effectivement ses premières notes avec une guitare retro le laissent penser. Pourtant, le morceau de Roger Taylor n'a rien du rock'n'roll des origines qu'il prétend être. Alors que Freddie Mercury entonne l'intro, c'est le batteur qui se charge du reste dans un morceau assez lourdingue, aggrémenté de synthétiseur très très très années 80. Alors certes, le message est qu'on peut injecter du bon vieux rock'n'roll dans un morceau moderne, mais le résultat n'est pas vraiment un bon exemple pour soutenir cet argument. Les éléments synthétiques sont on ne peut plus kitsch et difficiles à prendre au sérieux aujourd'hui tout comme le chant de Roger Taylor qui n'est pas ici des plus inspirés. Le tout ne manque pas d'énergie ni de conviction, juste que cela tombe à côté.
"Don't Try Suicide" nous ramène à des sonorités plus traditionnelles, presque jazzy avec une basse proéminente et des claquements de mains marqués qui font un peu penser à une tentative d'intimidation tirée de West Side Story. La chanson de Freddie Mercury est une invective bourrée d'humour noir dans le but d'empêcher un geste inconsidéré de son interlocuteur. Les arguments exposés ne sont pas ceux qu'on emploierait devant une telle situation ce qui procure un charme décalé à la chanson qui, si elle ne restera pas comme une des compositions majeures du groupe, reste un excellent morceau.
"Sail Away Sweet Sister" est un morceau assez typique de Brian May lorsqu'il est en mode sentimental. Il s'adresse dans cette ballade à la soeur qu'il n'a jamais eu (comme mentionné dans les notes du livret). C'est un morceau assez mélancolique, façon amour eternel mais incompris, soutenu par le piano de Mercury et une guitare accoustique raffinée et virtuose. La chanson s'adresse à une soeur fugueuse, à qui Brian May assure son amour inconditionnel. A moins que. A moins qu'il n'y ait un autre sens. Si on prend pour acquis le fait que le guitariste n'ait pas de soeur peut-on se demander si la chanson ne s'adresserait pas à quelqu'un d'autre ? Les paroles évoquent des choix difficiles et irrémediables mais acceptés sans conditions par le guitariste. Et si la chanson ne s'adressait pas à une fille du tout ? Et si en fait elle enjoignait juste quelqu'un d'autre à braver les forces hostiles et assumer sa nouvelle vie ? Est-il tout à fait idiot de penser que le guitariste parlerait ici du coming-out de son chanteur ? Freddie Mercury vient tout juste de se laisser pousser la moustache (nous l'avons vu il me semble) et c'est à cette période qu'il se met à fréquenter les milieux gays avec asssiduité. Est-ce que Brian May n'évoquerait pas à mots voilés cette situation, déclarant son total soutien à Freddie Mercury ? Ce n'est pas tout à fait impossible. Relire les paroles dans cette optique est assez troublant.
"Coming Soon" est une nouvelle chanson de Roger Taylor, décidément assez envahissant. Le morceau est assez proche de Rock It de par son synthétiseur omniprésent, de sa rythmique lourde, et de son côté tout à fait kitsch. Le chant est assuré par Freddy Mercury ce qui sauve un peu la donne ce coup ci.
"Save Me" renoue un peu avec la tradition du groupe. Il s'agit d'une ballade de Brian May, au ton désespéré mais qui se change peu à peu en un morceau plus ample, à dimension d'un hymne. Freddie Mercury chante les paroles d'une façon très inspirée qui nous rappelle ses facilités indéniables. Le morceau est plutôt classique pour Queen et il obtiendra un succès notable. Il sera également un morceau de choix lors des concerts du groupe de par sa dimension universelle, ceci malgré un thème pourtant assez tragique.


Alors ? Est-ce qu'il fallait en faire tout un plat ? Oui il y a bien des synthétiseurs dans "The Game" et pas des plus discrets, et oui il y a aussi de la moustache. En fait, plus que l'introduction du synthétiseur, "The Game" est marqué par l'entrée du groupe dans une nouvelle phase. Queen abandonne ici peu à peu le hard-rock pour prendre une direction nettement plus pop. La base de fans du début se sentira trahie, l'album n'a plus rien à voir avec les envolées lyriques d'antan. "The Game" est cependant l'album le mieux vendu du groupe aux Etats-Unis et c'est par lui que Queen prendra la dimension mondiale qu'on lui connait et c'est par lui qu'il acquierera une toute nouvelle base de fans. Le résultat est mitigé, certains morceaux sont de pures réussites, "Another One Bites the Dust" en tête, tandis que d'autres ont peine à émerger. Il était évident que pour obtenir cette nouvelle dimension populaire, le groupe aurait à faire certaines concessions, certains ne les pardonneront pas (moustache y comprise), mais il aura également pris quelques risques, avec succès. "The Game" est donc un succès, il obtiendra d'ailleurs un accueil assez chaleureux à sa sortie, ses morceaux de bravoure font en effet largement oublier ses maladresses.

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le 10 juin 2012

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I-Reverend

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