Longtemps, les Français ont ri aux blagues belges. C'était même devenu un sport national, pas méchant mais suffisamment condescendant pour que nos voisins d'outre-Quièvrain soient longtemps considérés, dans l'inconscient collectif, comme des buses. Alors, lorsqu'il a fallu parler, il y a une vingtaine d'années, de rock belge, beaucoup se sont amusés à n'y voir qu'une bonne blague de plus. Aujourd'hui pourtant, sur le plan culturel, plus question de faire les mariolles : que ce soit en cinéma, peinture, BD. stylisme et donc musique, les Belges se montrent beaucoup plus inspirés et créatifs que nous. Certes. Ils nous ont exporté aussi bien Hergé que Plastic Bertrand, mais a chaque fois qu'une tendance, un buzz ou une mini-révolution musicale se dessinait chez leurs autres voisins, les Britanniques, la jeune et créative Belgique se retrouvait souvent en première ligne, à l'affût, curieuse et rapide à l'assimilation. Surfant sur la vague punk, ils furent les premiers à retranscrire pour la France moyenne de 1978, l'hymne speedé et crétin Ça Plane Pour Moi en tube radiophonique. Plus sérieusement, la glaciale Belgique a pris de plein fouet la vague cold-wave du début des 80's. Peut-être que le climat grisâtre des faubourgs bruxellois ressemble à s'y méprendre à ceux de Sheffield ou Manchester. D'où création de passerelles : des Flamands de The Names intégrant en 79 le label Factory à la création d'une succursale de cette dernière au Bénélux. D'autres structures se développent par la suite, des Disques Du Crépuscule à Play it Again Sam, Puis les rythmiques électroniques envahissant de plus en plus la production anglaise dans les années 80 (notamment chez 4AD), nos amis belges ne seront pas en reste, proposant une contre-offensive, de Siglo XX à Poésie Noire. Enfin, logiquement, le plat pays sert de tête de pont à l'invasion techno qui se baptise primairement new-beat et déferle sur Anvers, Gand et le nord de la France sans toutefois atteindre Paris. Qu'importe, durant tout ce temps, et ratissant le terrain du rock, la Belgique aura cultivé son goût pour les iconoclastes, ce qui en langage pop moderne se traduit par inclassables. De fait, où ranger Arno, l'ex-TC Matic, auteur avec Putain Putain, de l'hymne le plus vachard sur l'Europe. Et Sttellla, ce croisement de Devo et de Bobby Lapointe ? Et Telex, ce trio synthétique auteurs d'un möskow Diskö sur lequel les branchés auront dansé tout au long de l'année dernière. Mais ces exemples de pure belgitude furent revus à la baisse un jour de 1993, date à laquelle les Anversois de Deus sortent Worst Case Scenario, un premier album un peu brouillon mais qui fera date. Car pour une fois, le rock belge est pris au sérieux et ce groupe cultive d'entrée sa différence. On sait qu'il voue un culte a Captain Beefheart et à Léonard Cohen, se pique de lo-fi en version originale, s'amuse a amener le rock dans ses derniers retranchements, le déstructure (voir le mini-album My Sister Is My Dog) mais surtout le rend plus libre. L'étape suivante. In A Bar Under The Sea, impose Deus en nême temps qu'il va le faire imploser. Il y a trop de compositeurs dans ce "collectif", trop d'egos, les plus agités (Stef Kamil, Rudy Trouve) quittent le navire et laisse le reste de la bande sur le flanc. Le nouveau Deus attendra deux ans pour mûrir. C'est cette nouvelle version, recentrée autour du leader initial Tom Barman et du guitariste écossais Craig Ward, qui propose auiourd'hui avec The Idéal Crash, l'un des tout meilleurs albums pop de cette année. Comment des personnalités aussi complexes ont-elles pu réussir ce monument de simplicité et de nonchalance ? Dès Put The Freaks Upfront, à la mélodie même pas torturée, Deus enfonce sur son propre terrain la pop british la plus ciselée : choeurs en rappel, arrangements malins au mellotron (!) et refrain d'anthologie. Des le début, The Ideal Crash frappe fort. Suit une ballade, Sister Dew, mélancoliquement irrésistible où, cette fois, des cordes subtiles emportent le titre loin des climats brumeux du Bénélux. Le soleil est entré chez Deus, il y resplendira jusqu'au bout. L'album enregistré en Andalousie porte les marques du farniente aussi bien que du songwriting exercé à l'air pur de la Méditerranée. A partir de cette base, les miracles défilent. One Advice Space (aussi beau que le dernier Mercury Rev), The Magic Hour (aux arrangements de cordes aussi luxueux qu'une chute du Forever Changes de Love), Instant Street (une des meilleures mélodies des défunts Boo Radleys et single avant-coureur), Everybody's Weird (dont on attend les remixes, effectués par "nos amis flamands, surtout des gens pas connus!) : ce disque à la tonalité sobrement mélancolique est un baume à se passer sur le coeur à chaque coup de déprime, et plus si affinités. Les pointillistes de Deus n'ont rien laissé au hasard question mixage et une écoute au casque se révêle tout aussi mortelle .Nous voilà donc bien : nos amis belges ont pondu l'album pop que les Anglais, spécialistes dans ce domaine, n'auraient même pas osé imaginé. France, alors que nos produits a l'exportation n'ont comme seul objectif que les |ambes des danseurs (par définition peu fidèles), des Flamands auront visé beaucoup plus haut, dans la région du coeur. Une leçon autant qu'une revanche. Deus vient d'inventer la blague belge qui tue ses concurrents sur place. Et qui ne fera plus rire personne. Surtout ici en France.(Magic)
Une révélation tonitruante sur le coup d'un single renversant ("Sods and Sodas"), malgré un premier album, Worst Case Scenario qui en a laissé plus d'un perplexes. Puis un premier disque majeur, In a Bar, Under a Sea, malheureusement mésestimé. Enfin, un troisième album impressionant qui finit par remporter tous les suffrages, tant critiques que publics. Le parcours de dEUS n'est pas sans antécédent (Radiohead ?). Aujourd'hui, The Ideal Crash permet aux flamands d'endosser un costume bien plus large que celui, étriqué et malseillant, de "meilleur groupe belge de la décennie", qu'ils revêtaient jusqu'à présent. En effet. Sans que dEUS ait complètement remis ses vélléités expérimentales au vestiaire, le départ de Stef Kamil et de Rudy Trouve a été l'occasion pour le troisième larron, Tom Barman, de recadrer sa musique. Sur cet album, le bordel organisé qui caractérisait le groupe s'efface devant des atours plus pop. Couplets, guitares, mélodies et refrains terriblement efficaces : de superbes compositions comme "Put the Freaks up Front", "the Ideal Crash", "Instant Street", "Everybody's Weird" ou l'apaisé "the Magic Hour", nous font redécouvrir des plaisirs oubliés, sans utiliser les ficelles de la nostalgie. Car dEUS et the Ideal Crash ne regardent que dans une seule direction : toujours plus haut. Qu'ils continuent.(Popnews)