La version vinyle est enfin sortie sous la forme d’un double album avec trois faces enregistrées. Un insert avec les paroles des chansons, line-up et renseignements utiles est également inclus. On regrettera tout de même le prix, même si la pochette est fabriquée avec du carton épais, quarante euros ça fait tout de même cher la galette (puisque le propos de l’album c’est une critique de la société basée sur la recherche exclusive des profits rapides et captifs, je commence dès maintenant)…
La pochette nous plonge directement au cœur du sujet, tout d’abord le titre « Les années Monsanto », comme si nous avions changé d’ère, sans même nous en rendre compte, insidieusement, comme par mégarde... Comme si tout le reste, ce qui fait les grands titres dans les journaux, n’était là que pour nous distraire de l’essentiel, nous cacher une autre vérité : nous avons basculé dans l’ère Monsanto…
La pochette, encore : à gauche, l’agriculture productiviste avec en vedette un avion qui répand sur les champs, les produits Monsanto, nés d’une hybridation qui engendre des monstres, graines fabriquées dans des labos en croisant les fruits de la nature avec des constructions moléculaires au service du capitalisme le plus outrancier, privilégiant la rentabilité et les profits en rendant captifs les agriculteurs pendant plusieurs générations. L’échelle de l’attaque est la planète, les premières victimes, les petits paysans. Préparez vos combinaisons et vos masques à gaz !
A droite de la pochette on peut reconnaître Neil en petit paysan, ami des papillons et des abeilles, dans un cadre traditionnel avec, dans la grange, à l’arrière, sans doute les deux fils de Willie Nelson, Lukas et Micah qui assurent derrière le « loner » avec le groupe Promise of the real, la scène paysanne s'inspire d’une célèbre peinture "American Gothic" de Grant Wood, avec, toutefois une version souriante, l’original étant plutôt austère.
Bon Dieu ! Et si le vieillard avait raison ? Du haut de ses 70 ans, n’est-il pas l’un des seuls à partir en croisade contre les corrupteurs du monde agricole, qui se servent dans le monde entier des ambassades des États-Unis comme de base avancée, pour acheter les appuis de personnages influents. Après avoir corrompu les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie, éliminé les petits producteurs et favorisé les grandes multinationales, la France en Europe est l’une des seules nations à offrir encore une résistance… même si quelques grands producteurs céréaliers (particulièrement de maïs), proches de la FNSEA en France, ont déjà vendu leur âme au diable, d’autres, comme ceux de la Fédération Paysanne, continuent vaillamment la lutte. Et la moustache du petit gaulois José est bien connue des dirigeants de Monsanto, de Walmart ou de Starbucks…
« A new day for love » qui ouvre l’album est un titre assez bourrin, lent et lourd, les paroles sont assenés avec force : « C’est un mauvais jour pour ne rien faire/Avec tant de gens qui ont besoin d’aide ». Dès le second titre « Wolf moon » le ton change, une ballade tout en retenue et délicatesse qui contraste avec le titre précédent, Neil se livre, fragile, la voix est toujours là, même si elle ne grimpe plus aussi haut, moins audacieuse, le timbre si particulier chavire et touche.
Le très beau « People want to hear about love » nous envoie sur les rails de « Big Box » sans doute le meilleur titre de l’album, rageur comme autrefois, avec de bonnes guitares, même si on se prend à rêver au Crasy horse. Neil se déchaîne contre la société capitaliste « Dans les rues de la capitale les entreprises prennent le contrôle/ La démocratie s'écrase à leurs pieds/ L'argent tombe du ciel pour ceux qui les rejoignent. »
« A Rock star Bucks A Coffee Shop” est à nouveau une charge contre Monsanto au travers de Starbucks qui produit des grains de café génétiquement modifiés : « Je veux une tasse de café mais je ne veux pas d’OGM / J’aime démarrer ma journée sans aider Monsanto ». Le titre reste bon mais l’ironie est portée par une partie sifflée, genre boyscout de retour le soir au bivouac, assez lourde d’autant qu’elle est répétitive.
Le titre « Mosanto Years » qui donne son nom à l’album renouvelle les attaques, particulièrement contre le roundup, le produit phare de la firme : « Quand ces graines germent, elles sont prêtes pour les pesticides/ Et le Roundup vient et apporte la vague de poison de Monsanto » (…) « Le fermier, pour vendre sa production, est poussé à l’utilisation d’OGM», « Qui sait quel avenir se profile pour les sols nourris par Monsanto ?». Une chose est certaine, les préoccupations écologiques de Neil Young sont anciennes et on ne peut l’accuser d’opportunisme. En s’attaquant à ce puissant adversaire il fait preuve de courage, songeons à certains de nos rappeurs en France qui se vendent à des multinationales, sans trop réfléchir. Même si, sur le dernier titre de l’album « I*f I Don’t Know* » il s’interroge sur la puissance réelle de ses prises de position.
Si je ne sais pas ce que je fais
Et que toutes mes grandes idées échouent
Comme faire un barrage contre l'eau et tuer la rivière
Les veines, le sang de la Terre.
Et si je ne sais pas ce que je dis
Et que tous les rêves du monde se réalisent
Comme trouver du pétrole et injecter du poison dans le sol
Les veines, le sang de la Terre.
Et si la mélodie reste jolie
Et que les chansons ne sont pas trop longues
J'essaierai de trouver le moyen de te les rendre
Les veines, le sang de la Terre.
Un album de Neil Young ce n’est jamais un album comme les autres, il véhicule nécessairement une charge d’émotion liée au passé, à ces heures consacrées à écouter ce vieil ami. Alors celui-ci sans doute est-il particulièrement bien accueilli par le public et la critique, mais, même cela n’a pas tant d’importance. Ce qui compte c’est cette volonté, cette intégrité, ce message chanté aux générations plus jeunes, alors que le chemin qu’il reste à parcourir soit encore long et qu’il dure…
Pas de doute,Neil Young reste un rocker !