Serait-ce trop tôt ? Le songwriter de Toronto ne nous avait pas habitués à enchainer un nouvel album aussi vite, quinze mois après le beau et cosi In Field & Town. Un délai relativement court lorsque nous le savons capable de disparaître totalement de la circulation durant trois ans. Ce disque sorti en mai, nous ne l’avions même pas vu passer, faute de promotion quasi inexistante au Canada (ne parlons même pas alors de sa distribution en Europe). Pour ce sixième album enchaîné après sa dernière tournée, Hayden Desser a donc cassé ses habitudes de casanier en passant sans détour au bercail par la case studio. Il y a une raison à cela : The Place Where We Lived est manifestement un disque de rupture sentimentale. D’où cette nécessité d’urgence à coucher ses tourments sur du sillon noir, manière comme une autre de ne pas en broyer. Le thème de la séparation y est ressassé sous différentes chronologies (les prémices, la crise, les regrets) avec une crudité des mots qui n’est pas sans provoquer un certain malaise — « I suppose there’s nothing more between us / When all we do is fill the room with sadness » sur “Let’s Break up” et les folk songs chenues “The Place Where We Lived” et “Dilapitated Heart”. Ce genre de disque exutoire débouche en général sur de belles choses d’un point de vue artistique. Seulement là, il semblerait qu’une certaine routine s’installe. Adulé par The Nationalet bien d’autres groupes enviables, Hayden Desser est certainement le plus grand songwriter que le monde ignore encore, formule on le conçoit généralement empruntée par la critique au sujet de Ron Sexsmith, un autre canadien d’ailleurs. Même si son vieil ami et conseil avisé Howie Beck l’aide à renforcer ses folk songs charpentées au poids douloureux, il manque à The Place Where We Lived la robustesse de ses somptueux prédécesseurs Elk-Lake Serenade (2004) et Skyscraper National Park(2001). Pourtant, la boiserie conserve toujours autant de chaleur et cette voix étrangement douce et chevrotante, presque á la limite de trébucher, a toujours autant d’honnêteté à faire partager. Mais l’écriture dépouillée d’Hayden est — paradoxe — de celles qui demandent à mûrir lentement. Si surnagent trois ou quatre pépites de l’ensemble — les titres exutoires cités plus haut, et puis “Disappear” au piano, une pop song glam que n’aurait pas reniée Dan « Destroyer » Bejar —, d’autres auraient mérité de vieillir un peu plus longtemps à l’écart des studios (“Message From London”, “Living Grows On You”, “Let Il Last”...). On aimerait se tromper, y revenir plus tard. Le temps nous dira. (pinkushion)

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le 28 mars 2022

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