The reunion begins with a glass of mercury.

1977, 78, 79, 80, tout va très très vite pour le punk, dans ce bref clignement d'oeil, il a eu le temps de naître, de mourir, de muter et d'évoluer dans tous les sens, si bien que, lorsque les Banshees signent enfin chez Polydor en 1978, après avoir arpenté Londres au sein du Bromley Contigent, ça a failli être trop tard.

Tardifs sur le punk, Siouxsie and the Banshees sont pas mal en avance sur le post-punk, inspirant énormément The Cure ou Joy Division encore en couvaison.

Enregistré en 3 semaines et produit par eux-même épaulés par un très très inspiré Steve Lillywhite, qui s'était déjà chargé du single Hong Kong Garden, l'album The Scream laissera une empreinte indélébile sur la scène anglaise puis internationale.

C'est que le son de l'album est déjà loin d'être résumé à un brûlot punk comme l'époque en a accouché à la pelle. L'atmosphère y est lourde, étouffante, à l'image de cette couverture dont la photo est prise à la YMCA de Londres, choisie pour son carrelage en négatif par rapport à l'habituel fond blanc à lignes noires. Apparemment l'idée est venue de l'étrange film The Swimmer avec un Burt Lancaster surréaliste.

Les guitares de John McKay sont aigrelettes, une signature du groupe qui pourtant changera bien souvent de guitariste. La basse omniprésente et menaçante, dès l'introduction de Pure est tenue par Steven Severin qui la conservera jusqu'au bout du groupe.Enfin et surtout la batterie, mixée éléments séparés et jouée martialement par le très bon Kenny Morris. La batterie chez les Banshees est dès cet album un instrument prépondérant, presque mélodique, et encore, elle n'a pas encore trouvé son batteur le plus emblématique, ça viendra, vous verrez.

Ah oui, et le chant !

Dire que Siouxsie Sioux est une chanteuse iconique c'est être sobre en qualificatifs. Elle ouvre une voie à des générations de gothiques non seulement avec son look inspiré de Theda Bara mais aussi par sa façon bien personnelle de chanter. Pour ce début, elle est toute énergie, hululante, agressive parfois, menaçante, désespérée, gémissante et parfois même espiègle. Elle ne possède certes pas encore toutes les dimensions qu'elle dévelopera avec le temps mais déjà, elle pose sa voix comme un instrument, omniprésente, impérieuse et intarissable. Une fois passé l'introduction Pure, sans paroles mais avec d'inquiétants cris éloignés d'une Siouxsie très banshee, le reste de l'album sera assez bavard, Siouxsie ne se tait pratiquement jamais. Si on n'adhère pas j'imagine que c'est peut-être éprouvant, d'un autre côté c'est sans doute aussi l'idée.

Eprouvant l'est Jigsaw Feeling qui ouvre le bal et permet à Siouxsie de prononcer les premiers mots du premier album. Le punk est toujours là, mais ce sont pourtant toutes les graines du gothic rock qui sont semées. Car Siouxsie and the Banshees, comme tous les groupes affiliés au genre réfutent l'appellation de gothique, c'est presque un critère de sélection.

Si le morceau est sympathique et ouvre parfaitement les hostilités, c'est avec Overground que débutent les choses sérieuses. Tout y est déjà, la rythmique martiale appuyée, l'ambiance étirée et progressive, l'atmosphère pesante, le mystère aussi des paroles souvent cryptiques. L'un des tous meilleurs morceaux du groupe, toute époque confondue et on a à peine commencé.

Carcass est incontestablement le morceau le plus fun, bondissant et entraînant de l'album. Composé en deux parties, la seconde est simplement irrésistible. Bon, les paroles, comme beaucoup sur l'album sont inspirées par J.G.Ballard ou William S. Burroughs, on est à bord de montagnes russes émotionnelles.

Oui c'est une transition pataude que je fais pour arriver au morceau suivant, soit la reprise spectrale de Helter Skelter des Beatles. Le morceau est vampirisé par les Banshees si bien, et c'est rare pour les Beatles, qu'on en oublie qu'il s'agit d'une reprise. Le morceau était déjà assez loin du style des quatre gars, il trouve ici une forme glacée et effrayante totalement maîtrisée.

Sur un premier album, il faut oser s'attaquer au Mont Rushmore de Liverpool.

Mirage aborde des thèmes qui seront chers au groupe au long de son existence, celui de l'image, celle qu'on renvoie, celle qu'on observe, mais également celui de l'illusion. Le morceau est tendu est énergique tandis que la voix de Siouxsie est plus alanguie, dissociée de la forme.

Le cérémonial Metal Postcard est l'un des hauts faits de cet album. Le groupe s'accorde dans une progression à la fois martiale et psychédélique. L'influence de Burrough est bien là, tout autant que celle des Doors de façon discrète. Le morceau est emblématique, aux fondations de ce qui deviendra le gothique et avant tout un chef-d'oeuvre du groupe. L'album touche ici son sommet et il ne redescendra plus avant la toute dernière note de son dernier morceau.

Mais avant il faut écouter Suburban Relapse, immersion paranoïaque dans la vie des banlieues gentrifiées. Le thème n'est pas éloigné de celui de Mirage, encore une fois, ces ambiances reviendront tout au long des albums à venir. L'energie du morceau est surtout apportée par Siouxsie qui tient tête à un rythme en forme de spirale étouffante. La bravoure arrive ensuite quand le saxophone de John McCay vient hululer la sinistre fin de partie.

Ce sont des notes plus apaisées qui ouvrent The Switch, conclusion magistrale de ce court album. C'est de loin le morceau le plus long, composé de plusieurs parties, avec le retour du saxophone crépusculaire. La mélancolie prend peu à peu le pas sur l'énergie et conduit à quitter progressivement l'univers tissé par cet album avec autant de regrets que d'émerveillement.

Dès ce premier album, Siouxsie and the Banshees affirme son style, incroyable équilibre entre énergie brute et morceaux ciselés. C'est un coup de maître pour un premier album qui, s'il place les bases principales de ce que proposera le groupe, est assez singulier dans leur discographie.

Pour conclure cette plongée expressionniste dans une piscine glacée, je laisse ce cher vieux Edvard Munch terminer avec un extrait de ses notes de 1892 au sujet de son plus célèbre tableau dont notre album a emprunté le titre :


"Je longeais le chemin avec deux amis - c'est alors que le soleil se coucha - le ciel devint tout à coup rouge couleur de sang - je m'arrêtai, m'adossai épuisé à mort contre une barrière - le fjord d'un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu -mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d'angoisse - et je sentis que la nature était traversée par un long cri infini."

I-Reverend
10
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le 6 sept. 2023

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