Dès l’ouverture du film, nous voici happé par la musique de Wendy Carlos, qui vocoderise en partie la Symphonie fantastique de Berlioz pour le générique. Le thème est inconfortable, menaçant. L’atmosphère est définitivement ancrée dans l’oreille.
Tout d’abord, désolé pour ceux qui auraient lu ma critique sur le film The Shining, je ne fais qu’ici en reprendre une partie. Mais surtout, je vous conseille la lecture de l’incroyable analyse de Damien Deshayes sur CineZik. J’y ai puisé toutes mes infos et je vais le paraphraser à plusieurs reprises.
« De cette histoire, je ne veux donner aucune explication rationalisante. Je préfère utiliser des termes musicaux et parler de motifs, de variations et de résonances. Avec ce genre de récit, quand on essaie de faire une analyse explicite, on a tendance à le réduire à une espèce d’absurdité ultra-limpide. L’utilisation musicale ou poétique du matériau est dès lors celle qui convient le mieux » (Stanley Kubrick à Michel Ciment » dans « Kubrick », cité par Elizabeth Giulani)
Cette bande-son constitue une atmosphère oppressante, propice à la terreur : déformations électroniques de Wendy Carlos et textures dissonantes de la musique contemporaine de Bartok, Ligeti et Penderecki.
Pourtant, cette bande-son est aussi l’histoire d’un ratage. Car si la collaboration avec Kubrick a été fructueuse sur A clockwork orange, Wendy Carlos n’en dira pas de même sur The Shining. Elle a du travailler à distance, en se fondant sur le livre de Stephen King et non pas sur les images. Une musique originale va être créée mais le réalisateur la saborde. N’ont survécu que le « Dies Irae », version électronique du Die Irae de la Messe des Morts, et « Rocky Mountains ».
Le reste de la bande sonore est constituée de musique contemporaine et de jazz. Selon Damien Deshayes, « l’utilisation de la musique contemporaine dans Shining répond à un double besoin : créer une expérience extra-sensorielle étouffante propice au sentiment d’horreur et projeter dans son film fantastique les peurs de l’homme moderne, permettant ainsi au spectateur de s’identifier à l’histoire de façon subliminale ».
Pour finir, allant un peu au-delà du disque, car il y a une dimension qu’il ne peut pas restituer. Dans The Shining, Stanley Kubrick crée une véritable alchimie entre les scènes avec ou sans « musique ». Car la musique d’un film n’est pas qu’une question d’instruments et de mélodies. Le silence et les bruitages sont l’autre pièce maîtresse du long-métrage. Les bruitages de la vie quotidienne dramatisent le film. Plus particulièrement les roues du tricycle de Danny, qui impose son rythme à la caméra, alternant le choc sec du parquet avec la menace plus feutrée du tapis. La neige omniprésente s’apparente à un tapis sonore, étouffant les bruits du monde extérieur et réduisant le champ aux bruits intérieurs et viscéraux de l’hôtel.