Du Walt Disney sous héroïne...et du crack pour les oreilles
Chef d'œuvre méconnu, The Soft Bulletin avait pourtant tout pour lui : sorti sur une major, à une époque où la radio grand public faisait encore preuve d'éclectisme, on y trouve des musiques complexes mais accessibles, un son ambitieux et des paroles qui vont droit au cœur.
Au moment de sa sortie, les Lips sont déjà des artistes bien établis. Ils sortent d'une salve d'albums salués par la critique et qui, malgré un côté très fun, n'arrivent pas à percer auprès du grand public (tout juste auront-ils un petit hit aux US avec "She Don't Use Jelly" en 1993). Les fearless freaks, comme on les appelle alors, sont connus pour leur excentricité et leur imprévisibilité : ils ne rechignent pas à noyer leur mélodies pop dans la saturation et à créer des chansons aux paroles (et aux titres) improbables.
Leur précédent album, Zaireeka, sorti deux années auparavant, est à leur image : un album de pop-rock expérimental au sens propre du terme, avec 4 cd qui doivent être lus en même temps pour donner le son final. Pour donner une idée de la folie du groupe, cet album fait suite à une série d'expériences d'orchestration d'autoradios dans des parkings, avec des cassettes qui devaient être lancées à un moment très précis...
Bref, un groupe de tarés dont le manque de succès paraît probablement un peu logique. À la sortie de Zaireeka, il était bien légitime de se demander s'ils n'allaient pas se noyer dans leur excentricité. Après tout, les deux membres historiques approchaient de la quarantaine et le petit dernier du groupe était accro à l'héroïne. Certains ont même pu penser qu'ils allaient droit sur le chemin de l'autodestruction.
C'est donc dans ce contexte que sort The Soft Bulletin en 1999, d'un groupe dont on n'avait a priori plus rien à attendre. Et là, c'est la grosse claque. Le groupe a troqué ses expérimentations multi-cd et son son terre-à-terre contre un album orchestral avec un son spacieux et des arrangements kaléidoscopiques. Adieu le son noisy-grunge : Dave Fridmann (le producteur) s'est découvert une passion pour les albums grandiloquents et force est de constater que ça lui réussit admirablement.
Les douze chansons nous emmènent dans un voyage riche en couleurs. Qu'elles soient instrumentales, classiques ou à structure irrégulière, chacune a sa personnalité propre et nous fait plonger dans l'imaginaire de Wayne Coyne, le chanteur. Il n'est plus questions d'animaux ou de religion, désormais : les paroles sont directes, simples (mais pas simplistes) et surtout profondément humaines. Les diverses ambiances se mêlent sublimement aux paroles pour nous toucher en plein cœur.
Alors voilà. 14 ans après, on se remet cet album et on est subjugué comme à la première écoute. The Soft Bulletin clôt de superbe manière les années 90, une décennie éclectique où l'espoir musical renaissait après la vacuité grand public des années 80. Tout était possible...seulement voilà, une certaine Britney Spears pointera le bout de son nez cette même année et signera le début de la fin pour les radios grand public, qui ne se passionneront alors bientôt plus que pour la dance et les avatars pop-rnb. Reste un chant du cygne, grand, puissant, émouvant, preuve tangible que la vieillesse aussi peut porter des fruits délicieux.
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