Visiblement, Jason Lytle, le cerveau de Grandaddy, a mal vécu le passage à l'an 2000. Ses chansons ont beau être truffé d'électronique (bon marché, tout de même), la pochette de son nouvel album montre des claviers bousillés, éparpillés sur un terrain vague, au pied d'une éolienne solitaire - rapport équivoque aux machines, symbolique ambiguë d'un impossible retour à la terre, si tant est que Jason Lytle ait jamais eu envie de quitter Modesto et son ambiance lynchienne, point cardinal de son inspiration, prison dorée de laquelle on ne s'échappe qu'en rêve ou en musique. Celle de Grandaddy, justement, aussi enracinée qu'elle soit (dans le folk, la pop...), a désormais acquis une dimension onirique telle qu'elle enfonce toutes les barrières, tant techniques que stylistiques. On pense, en écoutant The Sophtware slump, à ces grosses machines à faire planer (Pink Floyd, Radiohead, Air...), mais rehaussées d'une touche bouleversante d'humanité. Comme ses auteurs, cette musique ne frime pas, se contente naturellement d'être elle-même, se pose comme une évidence. Rien d'emphatique, rien de pompier ici, malgré l'ampleur d'une orchestration sans limites connues, qui donne tout son sens à la notion de symphonie de poche. Au contraire, plus on écoute ces Jed the humanoid (du robot envisagé comme un animal de compagnie), Underneath the weeping willow ou So you'll aim toward the sky, plus leur majesté se fait d'une aveuglante simplicité, d'une troublante mélancolie. Il y a du Brian Wilson chez Jason Lytle, le même décalage par rapport au réel, la même fuite en avant, le même rapport à la musique, vécue comme seule et unique échappatoire. En clair, ce type a l'étoffe de nos plus grands héros. (Inrocks)
En dépit de tout le bien qu'on en pense encore aujourd'hui, le premier album de Grandaddy, Under The Western Freeway, réalisé en 1997, était un disque moyen. Â ranger dans la discothèque juste avant Under The Bushes Under The Stars de Guided By Voices, autre disque aussi moyen qu'indispensable. Et la compilation de ses deux premiers Ep's parue l'an passé, The Broken Down Comforter Collection, nous avait bêtement confortés dans ces certitudes. Véritable outsider du rock mondial, le groupe du barbu et omnipotent Jason Lytle vient pourtant d'enregistrer au nez et à la barbe de l'Amérique le plus bel album américain depuis... des lustres. Au moins. C'est dire l'étendue des (beaux) dégâts et la vitesse à laquelle Lytle et les siens sont devenus grands. Dans leur trou rural et californien de Modesto, "un endroit horrible pour faire de la musique", les cinq modestes artisans de Grandaddy ont poussé encore plus loin la formule de leur premier essai. A savoir, "comment utiliser l'énergie du rock sans passer par les guitares électriques". En ouverture, le temps des neuf ! extraordinaires minutes de He's Simple, He's Dumb, He's The Filot, on jurerait entendre le Neil Young éthéré et magnétique de Expecting To Fly, période Buffalo Springfield ou, plus près de n(v)ous, de My Heart. C'est qu'avec le Loner, Grandaddy partage en dehors de la voix haut perchée (Jed The Humanoid) la même schizophrénie. Aux chansons lunaires succèdent souvent les déflagrations soniques. D'ailleurs, dans le genre, le single The Crystal Lake, avec ses guitares dévastatrices et ses claviers tourbillonnants, est un tube énorme, soit-il amené à demeurer confidentiel. Car même quand il se complaît dans un rock plus basique, voire ordinaire, avec ses guitares grunge toutes sorties dehors (Chartsengrafs, Broken Household Appliance National Forest), Grandaddy sera toujours plus passionnant et authentique que n'importe quel groupe de Seattle ou, pire, The Breeders : "Kim, je te jure que je n'appellerai jamais ma fille Kim", chantait Jason sur Kim You Bore Me To Death, Mais c'est évidemment quand il s'ébat dans une pop pastorale symphonique et lumineuse, avec la bonhomie d'un José Bové (pour rester sur le terrain de la ruralité, on précisera que Jason Lytle, avec son collier de barbe, ressemble furieusement à Luc Guyau, l'ancien délégué général de la FNSEA), que Grandaddy envoûte {Jed's Other Poem (Beautiful Ground)). Jamais très loin de Mercury Rev ou des Flaming Lips, deux groupes avec lesquels Grandaddy ne partage pas le même producteur - Lytle est assez grand pour ça -, mais le même goût pour le psychédélisme luxueux et extatique, en témoigne le rêve éveillé de Miner At The Dial-A-View. Sur le conclusif et magnifique So You'll Aim Toward The Sky, on pense également â Air, décidément la référence la plus consensuelle du moment, de Paul Weller â Lambchop en passant par les Doves. Avec son titre en forme de pied de nez au monde du tout-numérique dans lequel on (sur)vit, The Sophtware Slump, littéralement "la dévaluation du logiciel", où il est question de résistance contre la société moderne, la technologie et les structures dominantes, apparaît ni plus ni moins comme le meilleur album postbug de l'an 2000.(Magic)
L'apparition publique de Grandaddy en 1997 ("Under The Western Freeway") nous avait fait grand bien : enfin un groupe qui refusait de prendre parti entre une musique poignante et une musique ludique, entre larmes ravalées et rires étouffés, entre teenage-pop foutraque et folk d'adulte trop lucide. Autant dire qu'on attendait de Grandaddy qu'il poursuive son chemin de traverse sans céder aux autoroutes de la musique américaine. L'ouverture du disque ne déçoit pas : un morceau de neuf minutes carrément épique - qui commence comme du Neil Young (piano, voix), évolue vers une ballade à la Sparklehorse et finit comme du Genesis (si, si... avec plein de nappes de clavier) ! Un morceau en montagnes russes. Le reste de l'album sera une illustration parfaite de la schizophrénie du groupe : des morceaux pop nerveux à grosses guitares ("Hewlett's Daughter", "Crystal Lake") pas si loin des Guided By Voices, alternant avec des ballades ("Underneath The Weeping Willow", "So You'll Aim Toward The Sky") d'un autre calibre, tutoyant le Neil Young de "After The Gold Rush" ou le Brian Wilson de "Surf's Up"... Si l'on sent poindre une ambition musicale (les compositions, l'extrême précision des détails sonores) qui n'était qu'en germe dans leur précédent album, les gars de Grandaddy ne se prennent pas pour autant pour les génies qu'ils ne sont peut-être pas encore. Cette humilité (les membres du groupe ne viennent pas d'un bled nommé Modesto pour rien) n'est absolument pas un aveu d'impuissance mais bien plus une disposition naturelle : à partir de restes divers et variés (les claviers cassés des Cars, les pédales de distortion des Pixies, des guitares retrouvées au grenier) Grandaddy fabrique ses morceaux comme un gamin solitaire joue avec ses Lego : avec patience et sans volonté de frimer. Cette musique rêveuse, constellée d'effets rétro-futuristes et portée par la voix de canard désenchanté de Jason Lytle, mélange toutes les époques, tous les styles : le rock US des années 2000 s'est trouvé ses Facteurs Cheval. Le palais idéal de Grandaddy est d'ores et déjà ouvert aux touristes.(Popnews)