Notre vie n'est pas un film, ou alors, un très mauvais. » Will Sheff, chanteur parolier d'Okkervil River, a un sens des mots et de l'humour certains. Désabusé et mordant à souhait, de sa plume alerte et prolifique, il mesure sur The Stage Names, titre après titre, le gouffre creusé entre l'image exacerbée, romantique ou tragique, de la vie d'artiste et la généralement beaucoup plus banale et terne réalité. Groupe américain originaire du New Hampshire mais relocalisé à Austin (Texas), Okkervil River, avec son folk-rock rugueux mais enflammé, fait l'objet d'un culte fervent bien que confidentiel depuis quelques années. The Stage Names, nouvel album plus accessible sans rien lâcher de la rigueur et vigueur de ses prédécesseurs, devrait lui ouvrir les voies du succès. Car Okkervil River n'a rien de ces groupes purement littéraires, musicalement indigents ou austères. A l'instar du REM encore brumeux des années 80, entre pop rustique, alt-country enlevée et rock roots affûté, le climat des chansons épouse à merveille la tonalité de textes denses et désenchantés. Le sommet étant atteint sur la sombre complainte finale, John Allyn Smith sails, chronique du suicide d'un poète maudit qui s'achève sur l'air du traditionnel I want to go home (ou Sloop John B, dans sa version Beach Boys). Ailleurs, les mélodies et arrangements désamorcent au contraire la causticité des propos : comme le chant et l'orchestration délicats de Plus ones, amusante réflexion sur la culture du « sequel » inutile, dans lequel Sheff imagine des suites absurdes à des chansons classiques comme 96 Tears, 50 Ways to leave your lover ou 99 Luftballons. Après Midlake ou Hold Steady, en attendant Two Gallants ou Spoon, Okkervil River est assurément la perle d'americana à découvrir en cette rentrée. Hugo Cassavetti
Depuis le début, Okkervil River est un peu le second couteau du folk-rock lyrique et énervé – genre dont les premiers couteaux se nomment Arcade Fire ou Bright Eyes. Mais pour The Stage Names, Okkervil River est passé chez le rémouleur avant d’enregistrer – les guitares sont aiguisées et méchantes comme des pièges à loups. Okkervil River est toujours mené par l’inspiré songwriter Will Sheff – presque Will Self, presqu'un nom d’écrivain. Mais cette fois-ci, on entend plus le groupe que l’auteur, et c’est une bonne nouvelle. C’est toujours un groupe folk-rock, mais plus rock que folk, qui assume ici sa passion pour ce qu’on appelle parfois du bout des lèvres le classic-rock (Springsteen, Tom Petty, tout ça). Okkervil River n’a pas peur du recyclage – le dernier morceau de l’album est un hommage appuyé aux Beach Boys – mais il le fait bien, avec une énergie désespérée, en déclenchant des avalanches de mots dans des torrents de musique. Les dents serrées, la voix étranglée, la bile au bord des lèvres, Will Sheff semble pris dans un tourbillon de panique, un désir d’auto-combustion. Okkervil River est toujours un groupe très littéraire, mais qui dévore les pages avant d’y foutre le feu. A la longue, cet excès d’intensité, cette expressivité forcenée, peuvent lasser. Le groupe a eu le bon goût de boucler album en 40 minutes. Comme les plaisanteries (mais moins drôles), les albums les plus courts sont les meilleurs. (Inrocks)
Quelque peu sous-estimée dans ces pages, l’importance d’Okkervil River s’affirme pourtant d’album en album, telle l’ardeur d’une vie qui se dévoile jour après jour. Lettré, élégant et caressé par un souffle lyrique inné, le folk ancestral du leader Will Sheff surpasse aujourd’hui la plupart des musiques à guitares molles délivrées par des contemporains plus occupés à soigner leur mauvais rasage ou à se coller la mèche sur le front qu’à écrire des chansons. Et si le parti pris vocal paroxystique de l’impressionnant Black Sheep Boy (2005) pouvait irriter, The Stages Names, quatrième effort revendiqué comme plus ludique, devrait définitivement couper le sifflet inquisiteur du mou tatillon. Dès l’ouverture, Our Life Is Not A Movie,Unless It’s Kicks et A Hand To Take Hold Of The Scene surprennent sévèrement par un dynamisme électrique grisant, le deuxième épisode de ce triptyque foudroyant faisant même figure d’énorme tube bienfaisant, aussi jouissif et enthousiasmant que des guili-guili administrés par mille êtres chers. Comme délivrés momentanément de leurs noirs tourments, Will Sheff et sa bande (remaniée) dédramatisent là leur musique pour lui insuffler une légèreté nouvelle, une humanité chaleureuse, une empathie joyeuse qui rassure autant qu’elle ravit, peut-être aidés en cela par Brian Beattie et Jim Eno de Spoon, mixeurs de l’album à Austin (Texas). Mais, évidemment, Okkervil River ne s’est pas mué en une bande de joyeux drilles candides et dissimule toujours derrière cet enivrement passager des trésors de désespoir incandescent, d’abord révélés au grand jour par des paroles marquantes, puis drapés d’un classicisme instrumental raffiné (les atemporels Plus Ones, A Girl In A Port et John Allyn Smith Sails). The Stage Names, ou la nouvelle preuve du talent de cet orchestre folk qui mérite d’être estimé à sa juste valeur. Simplement parce qu’il respire la vie.(Magic)
On m'avait prévenu que ce nouvel album démarrait très pop. On m'avait même dit que certaines chansons passeraient à la radio (peut-être pas sur Skyrock malgré tout). On m'avait dit en substance : "tu verras, c'est différent mais c'est vraiment bien". Et le pire c'est qu'on m'avait dit vrai. "The Stage Names" n'est pas tout à fait dans la continuité de "Black Sheep Boy" (pouvant lui-même être perçu comme une synthèse sublimant les précédents albums). Ce dernier éclat d'Okkervil River ne va donc pas plus loin. Il ne repousse pas les limites du folk-punk mélancolique et explosif du précédent, et ce pour une raison fort simple, c'est qu'il n'était pas possible de faire mieux dans la même voie. La bande menée par Will Sheff a donc raisonnablement choisi d'en prendre une autre, plus aérée, plus vive, plus légère. En apparence en tout cas. Les premières écoutes nourrissent cette impression ; les chansons ne fonctionnent plus comme celles d'antan sur le schéma d'un crescendo assez systématique, mais l'alternance bien claire entre couplets et refrains enlevés ouvre une ère nouvelle, moins viscérale, plus maîtrisée, moins débridée, plus mélodique, moins désespérée, plus optimiste. Le ryhtme est plus vif, les mélodies plus entraînantes, le tout largement plus avenant et abordable. En apparence en tout cas. Si les paroles n'ont plus la même violence morbide, tendance très claire des précédents disques, la mélancolie latente des titres d'entrée se mue rapidement en une forme de tristesse largement assumée, jusqu'au magnifique flamboiement final en forme de reprise des Beach Boys, difficile à surmonter une fin de dimanche après-midi. Là où la musique d'Okkervil River se caractérisait souvent par une forme de violence éructante, à la fois séduisante et revêche, elle préfère dans ce nouvel album se lover dans un doux cocon à l'énergie caressante, quitte à s'exposer à de légers passages à vide. En apparence en tout cas. Car dans le fond, le groupe n'a rien perdu de son mordant, de sa capacité à aller trifouiller dans les entrailles des oreilles perdues à écouter leurs disques. Et celui-ci remplit sa mission de façon bien plus pernicieuse, en louvoyant derrière un semblant de douceur sucrée, accordant notamment une place de choix aux cuivres, aux clappements de mains, avant d'assommer son auditoire par des chansons profondes et poignantes sans en avoir l'air. Un mot d'ordre donc : méfions-nous de ces apparences. Elles pourraient nous empêcher de bien saisir la portée de l'un des moments incontournables de cette rentrée musicale.(Popnews)
Souvent, au cours d'une année musicale, on répertorie des albums défricheurs, ceux qui abolissent les frontières entre les genres ou partent dans des directions inédites, d'autres qui signent le renouveau d'un style. Et enfin il y a ceux qui viennent s'inscrire dans une longue tradition, de facture classique, et qui pourtant sortent du lot. "The Stage Names" relève clairement de cette dernière catégorie.Sur cet album, rien de révolutionnaire dans l'emballage : un son clair qui laisse de la latitude à la voix et donne une impression d'espace aux chansons, une base essentiellement acoustique réhaussée d'électricité, de cuivres ou de cordes par moments. Rien d'inédit non plus sur le fond : ces chansons de folk rock américain ressemblent à celles qui ont déjà fait la réputation du groupe par le passé, et contribué à fédérer des admirateurs pas forcément nombreux, mais fidèles. Pourtant cet album est extrêmement attachant, car Will Sheff et ses hommes ont réussi une brochette de morceaux qui font mouche à chaque fois : dès l'inaugural Our Life Is Not A Movie Or Maybe, on se laisse transporter par la mélodie aérienne, la structure épique, tout comme sur Unless It's Kicks, qui semble avoir été écrit pour être repris en choeur. En équilibre parfait entre cet élan épique et des tentations plus poétiques, "The Stage Names" offre aussi des moments plus apaisés, où l'on se laisse bercer par la voix de Will Sheff et les suaves mélodies de Savannah Smiles ou A Girl In Port, d'autant plus facilement que le groupe affiche une véritable fibre littéraire : on a le sentiment qu'on nous raconte une histoire sur chaque morceau. En parfaite synthèse de tout ce qu'on a entendu jusque là, John Allyn Smith Sails referme l'album avec une structure qui bifurque en milieu de morceau pour se terminer en final héroïque, qui s'approprie avec classe les Beach Boys. Voilà donc un beau disque qui marque le sommet de la carrière du groupe et ne laissera de marbre que les plus blasés. (indiepoprock)