Six ans après les sorties des deux volumes de La Bande à Renaud , voici donc qu'à l'approche de noël débarque le retour du fils de la revanche de La Bande à Renaud avec The Totale of La Bande à Renaud qui reprend l'intégralité des deux albums précédents avec en bonus une poignée d'inédits histoire de faire repasser les fans du renard par le tiroir caisse. Un florilège de reprises qui devraient une nouvelle hérisser les poils et mettre à mal les oreilles des puristes intégristes vu les notes récoltées sur Sens Critique par les deux premiers volumes qui culminent péniblement à 2,5/10. L'occasion en tout cas pour moi de revenir sur l'entreprise très commerciale et trop peu artistique de cette Bande à Renaud qui aura fait renaître le Phoenix mais qui me laisse relativement froid sans colère ni enthousiasme.
La première choses qui me vient à l'esprit c'est que finalement il n'est pas si facile de chanter du Renaud. On ne va pas se mentir 98% des artistes présents sur le projet chantent mieux que Renaud (Surtout maintenant) mais chanter juste n'est pas forcément chanter vrai; c'est un peu comme lorsque gamin on passait au tableau noir pour une récitation apprise par cœur avec cette sentence irrévocable "le texte est appris mais il manque le ton". Voilà bien ce qui manque cruellement à l'immense majorité des reprises de l'album, il manque l'émotion, la rage désabusée, la tendresse et la mélancolie qui transparaît souvent des interprétations bancales mais tellement sincères et incarnées de Renaud. En vivant et interprétant les textes qu'il a écrit et qui font souvent écho à des sentiments profonds et intimes de colère, de mélancolie ou même d'humeur légère Renaud est toujours en équilibre parfait sur la tonalité qu'il donne à ses chansons. J'ai la sensation que la plupart des titres de ses reprises restent en dessous ou au dessus de ses intentions originales donnant soit le sentiment de surjouer les émotions soit le sentiment d'être totalement en dessous dans une sorte de mollesse perpétuelle. Une chanson comme Son Bleu n'a pas besoin des trémolos vocaux de Calogero pour nous toucher, un titre comme Hexagone n'a pas besoin de se retrouver électrisé par les guitares rock de Nicolas Sirkis alors que le titre n'est jamais plus puissant que lorsque Renaud la chante avec sa gratte sèche et son harmonica version protest singer, nul besoin des vocalises de Louane sur la légèreté de La mère à Titi , nul besoin du pesant pathos de la voix larmoyante de Nolwen Leroy sur J'ai la vie qui me pique les yeux alors que le texte se suffit à lui même.... On pourrait multiplier encore et encore les exemples et démonstrations de ses reprises carrés, propres, pas honteuses mais tellement loin de la justesse émotionnelle des originaux. Lorsque Raphael chante Chanson pour Pierrot je trouve ça joli, lorsque c'est Renaud j'ai les larmes aux yeux en écoutant ce cri du cœur d'un désir de paternité aussi naïf que sincère, et c'est pareil pour bien trop de titres de l'album que ce soit La Blanche, Petite Conne, Mistral Gagnant ou La Pêche à la Ligne. Même pour des artistes que j'admire comme Bernard Lavilliers qui reprend ici Morts Les Enfants je n'arrive jamais à retrouver l'émotion du titre original surtout celle de cette première interprétation hésitante lors du concert pour l'Ethiopie à la Courneuve. Et puis en tant que fan cet album vient forcément bousculer notre rapport intime à l'artiste et chaque nouvelle interprétation ne correspond plus à tout à fait ce qu'une chanson peut porter en nous de souvenirs et d'images. Le Manu que chante Jean Louis Aubert n'est plus tout à fait le Manu de Renaud et surtout il n'est plus le Manu que j'ai construit dans ma tête à force d'écouter le titre, il n'a pas ici l'envergure de cette grande carcasse de chien battu pleurant son amour perdu sur un comptoir. Dans le même ordre d'idées je ne retrouve plus tout à fait l'intérieur de La Mére à Titi avec cette impression qu'avec la voix de Louane les murs on changés de couleurs et que la table du salon n'est plus tout à fait la même non plus. Il y-a sans doute un petit côté Madeleine de Proust dans notre Renaud à chacun et fatalement une nouvelle interprétation ne peux pas enclencher la même douceur mélancolique des souvenirs. Donnez moi les meilleurs boulettes pommes de terre du monde , cuisinées par le plus étoilé des chefs avec les plus nobles des ingrédients, elles n'auront jamais la saveur de celle de ma mère car ce sont celles qui ont le gout de mon enfance. Hexagone à fond dans ma chambre avec le sillon crépitant du 33 tours voilà comment je l'aimerai toujours, cette putain de douceur mélancolique de la version album de Mistral gagnant qui même après de milliers d'écoutes me bouleverse toujours autant voilà comment je la préfère ; vous pouvez la chanter mieux, plus juste, plus doux, plus fort, plus tendre, plus triste, avec des violons, des cordes, un orchestre symphonique elle n'aura jamais le même impact ravageur des premières écoutes sur mon cœur en miettes.
Je ne critique pas le casting de l'album y compris pour la présence controversé de Carla Bruni Sarkozy; tout à chacun a bien le droit de chanter du chanteur énervant y compris celles et ceux qui de prime abord ne sont pas du même versant politique de l'anarco-Mitterrandiste appelant à voter pour l'honnête homme François Fillon. Je ne critique pas plus les choix d'orchestration et d'arrangement puisque c'est du devoir même d'un artiste de proposer des choses nouvelles et j'adore généralement les reprises kamikazes qui osent tout. La plus profond reproche que je ferais à l'immense majorité de ses reprises c'est donc de chanter à côté du texte, comme un décalage permanent semblant ne jamais saisir tout à fait la profondeur ou la futilité des mots. Je n'ai même pas envie de déverser ma bile rageuse sur l'album qui reste ce qu'il est à savoir un produit commercial capitalisant sur les derniers souffle d'un artiste depuis longtemps en bout de course. Mais au risque de m'attirer les foudres des fans de Renaud je préfère encore devoir écouter en boucle cette double dose de reprises que de devoir m'infliger la souffrance auditive et morale d'une seule nouvelle écoute du dernier album de Renaud Les Mômes et les Enfants d'abord.
Sur cette nouvelle édition on trouve donc quelques inédits avec Tryo qui reprend de manière satisfaisante Marchand de Cailloux , Gaëtan Roussel qui a un peu de mal à retranscrire la roublardise humoristique de Viens Chez Moi j'Habite Chez Une Copine, Gauvin Sers nous propose une bonne version de Société Tu m'Aura Pas , Boulevard des airs une jolie version de Baltique alors que Vincent Delerm s'endort un peu sur sa version anémique de Petite alors que le texte lui va pourtant parfaitement. Pour le reste ses 34 versions oscillent entre le pire, le bon et le sans saveurs offrant un double album certes très décevant mais pas si horrible que ça. Aux chapitres des satisfactions je retiendrai particulièrement Adieu Minette par Olivia Ruiz , En Cloque par Hubert-Félix Thiéfaine, Baltique par Boulevard des airs , Société tu m'auras pas par Gauvin Sers , La médaille par Grand Corps Malade , Je suis une bande de jeunes par le trio Dorémus, Alexis HK et Renan Luce, Il pleut par Elodie Frégé (J'adore même cette version) et Dans mon HLM par Arthur H. A l'inverse dans un sens diamétralement opposé j'ai beaucoup de mal avec certaines reprises bien nases comme Morgane de Toi par Vincent Lindon (Double combo voix à chier et émotion à la ramasse) ou Miss Maggie par Benjamin Biolay. Le sentiment le plus largement répandu à l'écoute de l'album restant la déception celle de ne pas y retrouver ce que j'aime tellement chez l'artiste , du moins du temps ou il était encore vivant (Une écoute de Corona Song suffira à comprendre). La déception de voir aussi de nombreux artistes que j'admire ne pas réussir l'exercice comme Arno avec Ma Gonzesse ou Lavilliers avec Morts les enfants.
Il existe d'autres albums alternatifs de reprises de Renaud comme le très bon Fredo Chante Renaud, l'original et singulier Mon Renaud à Moi Tout Seul de monsieur Lune , l'attachant Nos Chansons d'Renaud d'Olivier Trevidy, l'album Renaud chanté par ... ou encore l'album rap Hexagone 2001 Rien n'a Changé; des preuves multiples que Renaud inspire plusieurs générations et plusieurs courants musicaux.
Voilà je ne garde mon vieux Renaud un peu pourri d'occasion , pas trop envie de l'échanger contre deux barils de Renaud nouveau. Mon Renaud à moi il est comme La tire à Dédé, un peu fatigué, plus trop rutilent mais je garde les souvenirs des voyages que j'ai fait avec, je garde l'empreinte vivace des colères, des galoches, des potes, des chansons , des frissons et des éclats de rire.