Les pieds enracinés dans les années 50, rattaché au mouvement cool initié par Miles Davis et même Lester Young, Chet Baker n’est pas un défricheur, il ne cherche pas à faire reculer les limites de la musique, non, son propos est ailleurs, il voue sa musique à la recherche d’une certaine perfection. Doué depuis toujours, il n’a jamais appris la musique et n’a d’ailleurs jamais su la lire, tout s’est fait naturellement, prodige, remarqué par Charlie Parker lui-même, sa trop grande facilité lui vaudra quelques jalousies qui nuiront à sa carrière.


Entre l’ado à la belle gueule et l’homme au visage buriné qui s’éteindra au milieu de la nuit, "défenestré" dans des circonstances mal établies à Amsterdam en 1988, il se passera une vie turbulente comme en témoigne chaque ride de son visage, il connaîtra la faim, le froid, la prison, des périodes d’oubli et perdra même les dents de la mâchoire supérieure au cours d’une rixe, il lui faudra alors réapprendre la trompette.


Fin des années 70, la deuxième vie de Chet Baker, il tourne en Europe et fait du porte à porte musical, enregistrant beaucoup d’albums (près de 80 en dix ans, de 78 à 88) avec des formations presque toujours différentes, au gré des rencontres et des producteurs et de temps en temps un chef d’œuvre, comme ici, nous sommes à Copenhague et l’enregistrement se fera très rapidement. Il faut une alchimie spéciale pour créer ces pépites là, le talent d’un seul ne suffit pas, et même le talent de trois, c’est de la fusion des trois en un que se fera l’osmose… Chet Baker a de la musique l’idée la plus haute, il faut le voir se concentrer pendant un concert ou lors d’un enregistrement pour appréhender la hauteur de l’enjeu, ici l’entente est parfaite, la virtuosité est mise au service de l’écoute, jusqu’au dernier souffle de vibration de la corde de la contrebasse (Blue room), la musicalité délicate de la guitare (Star eyes).


Quand il chante (But not for me, The touch of your lips) il joue de la voix comme de la trompette, le souffle tendu, fragile, au bord de la fêlure, sublime et sans défense… Il atteint ce point d’équilibre où naît un peu plus que la musique : la grâce, nous emportant loin du lien qui nous attache à la terre, en un sentiment de communion fraternelle. Eh oui, il arrive à nous émouvoir avec de vieux standards, inépuisables, par sa seule interprétation à fleur de peau.
Vaporeux et délicat cet éther musical est un souffle d’émotion pure.

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le 5 mars 2016

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