Autant te dire que la vie n'était pas des plus rose à la fin des années 70 à Londonderry.
En effet la deuxième ville d'Irlande du Nord ne brille pas par sa gaité de vivre ou son dynamisme économique.
Et quand je dis Londonderry, c'est si je me place du côté des Unionistes; des Protestants, des partisans de la Consubstantiation. Si je décidai par contre de me ranger du côté des Nationalistes, des Cathos ou des fanatiques de la Transsubstantiation, j’appellerai cette triste ville d'Irlande du Nord: Derry.
En effet, la fracture est nette entre factions religieuses et factions politiques; entre Nord et Sud, gauche et droite. C'est d'ailleurs là, le 30 Janvier 1972, durant une marche pour les droits civils, que des militaires d'un régiment de parachutistes de l'armée britannique ouvrent le feu sur la foule et fait 14 morts: Ce sera le "Bloody Sunday".
C'est donc ici. À Londonderry si tu penches du côté orange du drapeau Irlandais, ou Derry si tu représentes le joli vert des prairies de l'île, qu'ont poussé entre pavés et verdure: The Undertones.
En 1974, les frères John O'Neill (guitare) et Damian O'Neill (guitare, claviers, chant), leurs camarades de lycée Michael Bradley (basse, chant), Billy Doherty (batterie) et Feargal Sharkey (chant) montent les prémices de ce qui deviendra The Undertones.
Jusqu'en 1976 le groupe ne possèdera pas de nom, ou en changera souvent. Les mômes ne se prennent pas au sérieux, écument les bars de la vieille ville, les pubs sombres de tout bords où ils s'initient au Whisky et au goudron local, l'épaisse Guinness. Les gamins se font la main sur tout ce qu'ils trouvent: Concert de fin d'année de collège, fête paroissiale, journée d'initiation au scoutisme et autres baloches de villages.
Mais cette année 76, n'est pas comme les autres. Tandis que nos Irlandais reprennent les grands classiques du folklore de l'île verte et autres chansons à boire dans quelques fêtes locales où pintes de Guinness et dents sur pivot tombent comme en 14, de l'autre côté de l'Atlantique s'écrit une page de l'histoire du Rock sur un mur dégueulasse d'un quartier de New-York.
Quatre énergumènes chevelus et crades comme des peignes: Les Ramones, tombent comme une couille cradingue dans le potage - la bouillasse, dirais-je - du Rock'n'Roll de ce milieu des seventies.
C'est la révélation pour nos minots. Les accords tâtonnants de John ou Damian O'Neill ou la voix d'ado priapique de Feargal Sharkey ne sont plus un frein à une véritable carrière professionnelle dorénavant. Le Punk déboule sur la jeunesse du monde entier et ouvre des horizons inespérés pour les Rockeurs amateurs. Les Irlandais se shootent aux Stooges, se ruinent les doigts sur les riffs de bûcherons des - faux - frères Ramones et découvrent que l'Angleterre est en train de succomber à l'appel de l'épingle à nourrice et de la crête collée à Lager.
Il est temps de passer aux choses sérieuses et de s'attaquer à leurs premières compositions.
C'est l'adolescence; forcément l'adolescence, qui va être traitée dans ce premier opus. On ne raconte vraiment bien, que ce que l'on connaît, que ce que l'on vit. Premiers émois, premiers flirts, premières déceptions, premières claques dans le museau. Les Undertones nous livre la panoplie complète - Biactol compris - du parfait petit adolescent occidental.
C'est un label de Belfast, intéressé par la maquette estampillée Undertones qu'il venait de recevoir qui éditera fin 1978, le premier album du quintette Irlandais.
Des années à rôder les pubs embués de Derry, les bals à baston des banlieues grisâtres de Londonderry et d'un coup l'album.
Mais il y a plus. Un énorme plus, sans lequel - sûrement - l'album n'aurait pas traversé la Mer d'Irlande et connut la notoriété qu'on lui sait.
C'est le grand John Peel, sur les ondes de la BBC, qui leur assurera une publicité monumentale en diffusant Teenage Kicks ( qu'il considèrera d'ailleurs comme "la meilleure chanson de tous les temps") de nombreuses fois et lancera par la grande porte, la carrière improbable des cinq de Derry.
L'album The Undertones - avec le le nouveau pressage de 1979 comprenant le tube Teenage Kicks - déboule en pleine vague descendante du Punk made in Albion et redynamise un genre en voie d'extinction. C'est un vent de fraicheur, un joli bain d'innocence qui vient rafraîchir un paysage musical Anglais qui commence à se refroidir sérieusement. La Cold Wave naissante vient en effet, glacer l'île Britannique et intellectualiser un Punk agonisant.
C'est là, en plein chamboulement musical que les Undertones viennent souffler sur les cendres encore tièdes du bûcher Punk et raniment "le feu de l'ancien volcan que l'on croyait trop vieux".
Quarante-cinq minutes d'énergie juvénile pleine d’acné et de peaux grasses, une injection d'hormones adolescentes qui refait pousser un léger duvet noir dégueulasse sur un Punk dorénavant rasé de prés.
Des riffs de gratte simples, directs. Une guitare rugueuse comme les pognes de ces ouvriers Nord-Irlandais renfrognés, vient comme par magie redonner un coup de jeune à cette scène déclinante.
Un "Garage Band" Irlandais qui n'aurait jamais du sortir de son garage et qui se retrouve perdu en haut des charts de l'ennemi Anglais.
The Undertones comme le dernier soubresaut, l'ultime secousse d'un genre qui n'en finira pas de mourir et de ressusciter.
Alors Post, Punk ou Power Pop: Peut importe le flacon, blouson de cuir ou crête sur la tronche, pourvu qu'on ait l'ivresse Rock'n'Roll.
Here comes the summer
ou
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