The Works
6.9
The Works

Album de Queen (1984)

Il a fallu à Queen deux ans pour se remettre de l'album précédent, Hot Space. Les tensions qui venaient d'apparaître on dû s'appaiser, les projets solos se matérialiser pour qu'enfin le groupe réalise qu'il est plus fort uni que dispersé. La page disco/funk/dance est tournée et Queen revient à une approche plus conventionnelle et plus proche de son ancien ton, une approche plus rock néanmoins largement plus teintée de pop qu'à ses débuts. The Works indique que Queen s'est effectivement remis au travail afin de fournir un album qui contentera bien plus ses fans et qui avec un peu de chance élargira même leur base en conquérant les ondes.

1984 est une année particulière, mais pas forcément dans le bon sens. C'est l'avènement du clip vidéo, MTV est en train de devenir une institution, Ghostbusters cartonne au cinéma, les épaulettes et les cheveux peroxydés sont à la mode...Tous les clichés des années 80 se trouvent cristallisés à merveille dans cette année, pour le meilleur et pour le pire. Beaucoup d'artistes comme David Bowie, qui publie cette année là "Tonight", sans conteste l'un de ses plus mauvais album, sont au creux de la vague. C'est par ailleurs l'année du triomphe de Prince avec son titre/album/film "Purple Rain".
En cette année Orwellienne, Freddie Mercury participe à une ressortie du film Metropolis de Fritz Lang, remaniée par Georgio Moroder qui, jugeant peut-être l'oeuvre poussièreuse (ah les années 20 quelle bande de nuls, ils n'avaient même pas de Macintosh ces rustres ! Nous en 1984 au moins...) décide d'agrémenter sa version de compositions d'artistes de l'époque dont Adam Ant, Bonnie Tyler, Pat Benatar et notre moustachu. Certains n'ont pas vraiment la notion d'oeuvre historique, néanmoins cela permet à Freddie Mercury de négocier l'utilisation d'images du film (dont il est fan) pour un futur clip du groupe.


Et c'est pour supporter la sortie de Radio Gaga que seront utilisés quelques plans du film original à travers les vues de la ville futuriste dépeinte par Fritz Lang. La chanson en elle même est un morceau de Roger Taylor, jugeant Radio Caca trop idiot et trop peu universel, il déplore ici la perte de vitesse de la radio face à la vidéo de plus en plus envahissante. Les chansons ne sont plus alors découvertes par le seul passage radio, elles ont désormais besoin d'un support visuel accrocheur pour faire vendre des disques, ce ne sont plus vraiment les qualités musicales d'un groupe qui sont jugée, mais plutôt, selon lui leur image à travers des clips les plus attrayants possibles. L'intention est louable et le message est plutôt pertinent. Mais alors pourquoi en faire une chanson si marquée par le synthétisme ? Radio Gaga rassemble apparemment tout ce que le groupe comptait comme synthétiseurs, effets spéciaux (enfin pas tous nous verrons un peu plus tard) et boîtes à rythmes. Nous avons à travers le titre une vision assez claire de ce que pourrait être la musique de futur...de 1984. Le refrain entêtant est aussi pénible qu'efficace. Alors que le thème aurait pu donner un témoignage émouvant d'un homme regrettant le bon vieux temps de la radio où l'on découvrit ébahi de nouveaux sons venus de nulle part, et bien nous avons droit à un des morceaux les plus marqués dans les années 80 du groupe et sans doute un des plus fatigants à l'écoute. Il sera cependant un succès incontesté du groupe, ravivant la flamme auprès des fans et de tous ceux qui avaient jugé leurs précédents efforts trop éloignés de leurs morceaux habituels, ce qui est finalement assez étrange et paradoxal.
Tear it Up rattrape le coup. Brian May reprend les armes en nous livrant un morceau nettement plus rock, comme le groupe avait semble-t-il oublié d'en faire depuis un moment. La batterie rappelle évidemment We Will Rock You et le riff agressif ne manquera pas de faire se remuer les foules lors des concerts. C'est un morceau mené tambour battant, au sens propre qui montre que le groupe est tout à fait capable de revenir à sa pugnacité d'autrefois, rappelant par son mordant le morceau Tear Your Mother Down du même Brian May par exemple.
It's a Hardlife est la première chanson de Freddie Mercury à apparaître sur cet album. C'est une chanson douce amère sur la difficulté des relations amoureuses tout à fait comme Play the Game sur l'album... The Game ou Jealousy sur Jazz rappelant les morceaux des premières années du groupe, où on trouvait un Freddie Mercury ambigu, à la voix haut perchée mais maîtrisée accompagnée par un piano ou par une guitare compatissante de Brian May. La chanson prend de l'ampleur au fur et à mesure jusqu'à prendre des dimensions à nouveau baroques lors du solo de Brian May qui ne manquera pas de nous rappeler Bohemian Rhapsody, d'autant que l'intro pastiche sans vergogne l'opéra Pagliacci. Marquée à la fois par un thème intimiste et une ambiance grandiloquente, cette chanson évoque en tous points les meilleurs moments du groupe, ou du moins ses plus emblématiques. It's a Hardlife semble étrangement perdue au milieu de cette pop taillée pour les radios de l'époque à l'instar de la vidéo qui l'accompagne. Il s'agit d'un clip étrange, kitsch à un point qu'on pensait hors d'atteinte et qui finalement résume tout à fait le style du groupe même si Freddie Mercury semble être à nouveau le seul dans son élément à en croire les commentaires que feront les autres membres. Il y est dépeint une cour bariolée de créatures baroques et extravagantes incluant Freddie Mercury vêtu du costume surnommé "giant prawn" (oui la crevette géante) par le groupe.


La chanson évolue depuis une certaine mélancolie vers une porté plus proche d'un hymne. Il y a en elle une sorte de bilan plus général que celui d'une simple relation amoureuse, on peut la voir comme un bon résumé du parcours de Queen ou de Freddie Mercury, assumant ses erreurs éventuelles mais affirmant tout de même ses succès. Bien qu'ancrée dans les atmosphères passées de Queen, la chanson trouvera un écho plus tard dans des albums comme Innuendo et même Made in Heaven dont elle partage certaines des atmosphères. A noter, l'introduction "I don't want my freedom..." est chantée sur l'air d'opéra (ah ouais !) Vesti la Giubba de Ruggiero Leoncavallo dans Pagliacci.


Man On the Prowl est une nouvelle incursion de Freddie Mercury dans la sphère rockabilly, comme il l'avait fait avec un surprenant succès avec Crazy Little Thing Called Love sur The Game. Malgré tout cela ne prend plus vraiment. La chanson est trop répétitive et ses percussions ont trop la teinte générale de l'album, froide et mécanique, pour coller réellement à l'exercice de style. On sent néanmoins un certain enthousiasme dans la voix de Freddie Mercury, rendant un nouvel hommage à son idole Elvis.
Machines (or '"Back to Humans") est une collaboration signée Brian May et Roger Taylor, pour le meilleur et un peu aussi pour le pire. Très proche de Radio Gaga par son thème et sa forme, Machines est encore plus marquée par...euh...les machines. Sa pulsation régulière en forme de bruit de pistolet laser n'aurait pas dépareillé dans Flash Gordon malgré une présence plus marquée quand même des guitares. Le chant de Freddie Mercury rappelle également celui qu'il avait sur Flash's Theme mais il est cette fois adjoint de celui de Roger Taylor qui a trouvé un nouveau jouet ! Un super vocoder lui donne une voix de robot qui lui permet de répéter le mot "machines" à de très nombreuses reprises ainsi que d'entonner un couplet entier avec cet effet. Les paroles quant à elles expriment une inquiétude face à la domination des machines (prononcer avec une voix de robot) proche du Domo Arrigato Mr Roboto de Styx paru un an plus tôt. Elles incluent plusieurs termes provenant des balbutiement de l'informatique comme "software", "hardware" ou "Random Access Memory". Tout cela est certes très cohérent mais la chanson est au mieux très drôle, au pire très pénible à écouter.
I Want to Break Free est un autre des morceaux emblématiques de Queen et c'est John Deacon qui en est l'auteur, ce qui après le succès de Another One Bites the Dust prouve son efficacité ! La chanson est très célèbre et encore aujourd'hui il est difficile de ne pas tomber dessus en écoutant la radio régulièrement. Il s'agit d'une sorte de ballade pop assez sucrée, presque simpliste et à la limite de la comptine. Cela ne la rend que plus efficace et il est très difficile de s'en débarrasser lorsqu'elle vous rentre dans la tête. Freddie Mercury cabotine tant qu'il peut et semble réellement s'amuser sur ce morceau. L'atmosphère robotique de l'album y est perceptible mais elle reste en retrait et sert le morceau au lieu de le vampiriser. Le succès sera au rendez-vous en grande partie grâce à un clip mémorable qui comporte, parlons-en, une parodie de la sitcom anglaise Coronation Street, permet aux membres du groupe de se travestir en quatre femmes d'âges différents. John Deacon y est une grand-mère renfrognée, Brian May une femme parée de bigoudis et vêtue d'une robe de chambre, Roger Taylor y apparaît en une écolière étrangement convaincante par ses mimiques (et ressemblant étrangement à Emma Bunton des Spice Girls aussi) tandis que Freddy Mercury, qui a l'air très content d'être là, passe l'aspirateur en tenue sexy, mini-jupe, bas et faux seins, toute moustache dehors. Pour en revenir à la musique, Brian May se taille une part de choix dans le morceau en plaçant un solo de guitare déguisé en trompette. La chanson, qui parle de relations amoureuses mais peut être envisagée sous un jour plus général, sera utilisée à plusieurs reprises à diverses occasions servant d'hymnes à de nombreuses organisations allant des associations gays et lesbiennes à l'ANC de Nelson Mandela.


Keep Passing the Open Windows est une chanson que Freddy Mercury avait écrite pour le film Hotel New Hampshire en 1983, elle a subi quelques modifications pour mieux s'intégrer à l'album. Majoritairement dominée par le piano et les synthétiseurs, la chanson rappelle curieusement la chanson The Hero qui concluait Flash Gordon et certains effets font également penser au Prime Jive de Roger Taylor sur The Game. Le thème est un peu naïf, encourageant à la confiance en soi et en l'amour mais cela ne rend pas la chanson totalement désagréable, lui donnant une certaine fraîcheur un peu absente des albums de Queen depuis quelques temps.
Hammer to Fall est en opposition totale avec le morceau précédent. Il est signé par Brian May, est orienté rock à l'instar de Tear it Up et bénéficie d'un riff teigneux et efficace. Après l'inquiétude de la montée en puissance des machines, c'est la guerre froide et l'ombre du nucléaire ("the Mushroom Cloud") qui est évoquée. Les percussions de Roger Taylor y sont une fois de plus assez mécaniques mais cette fois, cela se prête admirablement au morceau, renforçant son aspect incisif et énervé. Malgré tout, le chant admirable de Freddie Mercury, accompagné par le choeur comme à la "bonne vieille époque" donne à la chanson une teinte universelle et fédératrice, l'expédiant immédiatement au rang des meilleurs hymnes du groupe et faisant de Hammer to Fall un incontournable en live où elle sera interprétée avec encore plus d'énergie. Les fans sont rassurés, Queen est encore capable d'offrir d'excellents morceaux rocks, il était plus que temps de le rappeler. Ce genre de titre ramène le groupe sur le devant de la scène après plusieurs essais décevants.
Is This the World We Created...? conclut l'album d'une façon inatendue. Après le très rock Hammer to Fall et un album globalement marqué par des productions très travaillées et pleines de gimmicks synthétiques, c'est une chanson simple, oeuvre de Freddie Mercury et Brian May, portée par la voix de Mercury et une guitare acoustique, c'est tout. Il y a dans cette chanson une atmosphère intime très proche de Love of My Life (à laquelle elle est par ailleurs couplée lors du Live at Wembley de 1986 par exemple). L'atmosphère froide, propre aux années 80 qui baigne tout l'album cède ici place à une chaleur humaine bienvenue. Alors, certes, les paroles ne sont pas vraiment très subtiles et suintent un peu de naïveté, néanmoins, le timbre chaleureux et plus grâve qu'à accoutumée de Freddie Mercury adjointe à la guitare subtile de Brian May nous offrent un morceau touchant qui nous remémore donc les morceaux intimistes des débuts. C'est donc une conclusion en total opposition à Radio Gaga qui récompense chacun de ceux qui auront écouté l'album en entier (même s'il n'est pas très long).


Clairement, The Works est très marqué par la volonté de Queen de tout mettre sérieusement en oeuvre pour non seulement reconquérir son public, mais aussi gagner une dimension plus universelle. Le rock est donc de retour, dans une forme efficace et abordable, et la pop y est absolument décomplexée. Les titres de l'album seront par ailleurs presque tous édités en singles (les autres seront des faces B) et sont tous taillés pour les radios. Les clips sont également objet de plus d'attention ainsi que l'image du groupe qui à cette époque acquiert la dimension iconique reconnue par le grand public. Freddie et sa moustache, Roger Taylor blond et ébouriffé, John Deacon frisé et coloré (et en short aussi) pendant que Brian May conserve sa tignasse coûte que coûte. Ce sont des détails qui créent pourtant une image bien plus commerciale qu'auparavant : sur ce point c'est une totale réussite. 

Musicalement il faut reconnaître que Queen s'en sort plutôt bien. L'album est porté par quelques excellents morceaux dont It's a Hard Life, Tear it Up, I Want to Break Free, Hammer to Fall ou même Is This the World We Created ce qui quand on y regarde bien fait un peu plus de la moitié des titres. Les réussites de The Work sont néanmoins les titres les plus proches des bases du groupe ce qui révèle leur volonté de produire un album de qualité. Les autres morceaux, au mieux oubliables, au pire atroces plombent un peu l'ambiance d'un album qui aurait mérité mieux. Ceci laisse donc un constat mitigé, puisque l'album laisse une étrange impression de froideur due en grande partie à sa production très marquée années 80. C'est aussi celui qui, sur de nombreux points, représente le mieux ce qu'est Queen pour le grand public, ce en quoi il peut décevoir les amateurs de la première heure (mais beaucoup seront rassurés après la déception Hot Space). Il obtiendra de bonnes critiques à sa sortie et est reconnu encore de nos jours comme un classique de l'époque avec tout ce que ça implique.

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le 10 juin 2012

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I-Reverend

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