Pharoah Sanders – Thembi (1971)
« Thembi » a été enregistré en deux parties distinctes, la première le 25 Novembre mille neuf cent soixante-dix, cinq mois après « Summun Bukmun Umyun - Deaf Dumb Blind », elle correspond à la première face de l’album. La seconde est enregistrée l’année suivante, le douze janvier soixante et onze et correspond donc à la seconde face, le temps de passer de L.A. à New York.
« Astral Traveling » qui ouvre l’album ne saurait mieux convenir, tant il se situe dans la même veine extatique que le précédent, atmosphère contemplative et introspective toute en douceur et sérénité. Le tournant amorcé sur l’album précédent semble se confirme donc, même si le titre suivant « Red Black & Green » va aussitôt infirmer cette proposition.
En effet, nous voilà soumis au feu et à la tempête, l’explosion de « karma » surgit à nouveau sur ce titre, le re-recording utilisé semble même multiplier par deux le déchirement et la colère, après ce bref épisode plein de fureur, tout se calme et repose, le violon de Michael White participe à ce retour à la paix et à l’atténuation des chaleurs que délivre encore la braise fumante, cette pièce est magnifique et semble symboliser la dualité qui existe dans le cœur de chaque homme, soumis aux forces contraires, déchiré entre la vie et la mort…
« Thembi » qui suit marque un retour au calme et à la sérénité, au soleil, au ciel bleu et aux fleurs des champs, il faut dire que c’est le prénom de la compagne de Pharoah. Certes le thème est beau mais le contraste avec la pièce antérieure est élevé et il est difficile de s’acclimater à cette béatitude un peu niaise, après avoir été tant chaviré et bousculé. Mais c’est désormais la voie de Pharoah, lui-même écartelé entre des sentiments contraires, le soprano convient bien à la sonorité ambiante, dialogue avec le violon, sautillement léger de la basse de Cecil McBee et percussions multiformes. La quatrième pièce, « Love », est un superbe solo de Cecil McBee à la contrebasse, pizzicato puis à l’archet, très beau.
La seconde face voit quelques changements dans le line-up, je ne me suis pas trop attardé sur les musiciens car ce sont souvent les mêmes, mais jamais tout à fait. « Morning Prayer » est le premier titre de cette face qui en contient deux. Pharoah joue de la flûte, puis des percussions, on peut y entendre un nouvel hommage à l’Afrique et à la danse, Lonnie Liston Smith qui est co-auteur de la pièce déroule un très beau solo assez lancinant puis laisse le champ à Pharoah qui déroule un superbe solo au ténor.
C’est le grand Roy Haynes qui tient la batterie et participe à ce magnifique bouillonnement rythmique qui habite la pièce et nous emmène petit à petit au cœur de la jungle. L’impression d’immersion est réelle, lente et admirable, une belle pièce dont se nourrira la musique de plus en plus riche et variée de Pharoah Sanders.
La dernière pièce « Bailophone Dance » continue dans cette même veine où les percussions prennent le pouvoir, entre une basse répétitive côté gauche et le piano de Lonnie qui percute les touches, Pharoah se déchaîne entre flûte, fifre, koto, anches diverses, ballophone, maracas, avec le re-recording ça assure bien côté richesse sonore, la transe est au bout du chemin.
Encore un grand album de Pharoah, diversifié, à la croisée des chemins…