Mais où Chris Hooson trouve-t-il le temps de déprimer ? En sus d'un emploi à plein temps, le leader de Dakota Suite se débrouille pour donner très régulièrement de ses nouvelles, et se forger une discographie aussi prolixe que sans tache. Les premières mesures brumeuses de This River Only Brings Poison (tout comme le titre) donnent le ton (gris bleu) d'un troisième album qu'on peut se permettre de considérer comme son meilleur. Épaulé par un comparse taillé sur mesure Bruce Kaplan d'American Music Club , Hooson décline différentes formules (magiques) sonores qu'il affectionne : de la complainte sinistre tout juste accompagnée d'un piano ou d'un vague harmonium (Verdriet, We Made It Rain) aux orchestrations plus poussées (tapis de mellotron, de cuivres et de pedal steel, de Sand Fools The Shoreline ou The Ferris Wheels Of Winter). Fidèle à un univers d'honnête mélancolie, Dakota Suite continue de concourir dans la catégorie "songwriting le plus chagrin". C'est vrai, la compétition est rude, surtout de l'autre côté de l'Atlantique (Low, Will Oldham, Mark Kozelek). Mais comme les artistes précités, ce gars de Leeds n'est pas du genre à galvauder les (mauvais) sentiments, ni à permettre à sa musique de nous donner autre chose que la chair de poule. (Magic)
Rarement disque aura si bien porté son titre, si peu trompé son monde : à n’en pas douter, le groupe mené par Chris Hooson semble baigné ici par un fleuve dont le nom est Léthé, fleuve mythique qui distille l’oubli comme le seul poison capable d’adoucir les blessures d’une existence douloureuse. L’atmosphère languide qui se dégage de cette longue suite de morceaux anémiés, bribes disjointes d’un folk asthénique, est une atmosphère de lente dérive, de celle qui vous saisit lorsque vous vous perdez dans une rêverie morbide ou le désir triste de la fuite, une sorte de post-scriptum au "Dead Man" de Jarmush : "take your thoughts to the river, take your feelings to the sea, and watch them float away" ("conduis tes pensées à la rivière, tes sentiments à la mer, et regarde les flotter vers le lointain" sur "pillows in the water"). Oh, ce n’est pas que l’on trouve là quelque changement à la mélancolie qui a fait la signature du groupe, mais elle atteint ici une sorte de forme adéquate, éminemment expressive, bien que traduite en un affaissement généralisé (voix traînante, notes égrenées sur la durée, mellotron languissant, batterie avare), en un engourdissement dépressif qui tourne parfois à l’aigre. Comme Beth Gibbons, Chris Hooson semble souvent chanter pour dire qu’il n’en a plus la force ("I wish I was dead" sur "sand fools the shoreline"), pour narrer la désolation d’amours sans communion ni espoir, pour regarder lui échapper les grains de sable du temps et de l’existence. C’est parfois très beau, notamment lorsque c’est simplement porté par la musique, dans les quelques instrumentaux qui émaillent l’ensemble, c’est parfois plus convenu, quand les mots se font maladroits ou la musique répétitive. Mais on se laisse facilement aller soi-même, au fil de l’eau, à cette torpeur musicale, à ce songe sans images et sans passé. Et l’on ne s’y trompe guère : la musique qui drogue ainsi à l’oubli n’est pas elle-même une musique oublieuse, elle a traîné ses guêtres du côté des clochards célestes de l’Amérique, Tom Waits, Will Oldham et autres American Music Club (deux membres du groupe ont contribué aux premiers enregistrements de l’album à San Francisco) et elle parle assez bien le langage de ces "frères d’âme". Puisse le dialogue se poursuivre.(Popnews)
Laissons la joie au vestiaire et gardons la Parka ; il pleut dans ce disque. Et sur les berges de cette rivière ce n'est pas dans la boue que vous avez les pieds. Mais dans le fiel. Cette rivière n'apporte que le poison. Et bien sûr le lot de chansons, sombres à cœur, qui va avec. Ne vous attendez pas à danser. Ni sous les bombes, ni sur les tombes. C'est de folk songs aux arrangements magnifiquement ourlés qu'il s'agit. Les mélodies vous rappellerons ce que vous avez ressenti quand vous avez lu "les fleurs du mal" la première fois au lycée, et les cuivres vous serreront le cœur. On se prend même parfois à penser que ce n'est pas Chris Hooson qui est triste, mais bel et bien ce piano, ou ce violoncelle. On entend pleurer la pedal steel.
Alors forcément cet album ne peut pas plaire à tout le monde ; et tant mieux. Comme ça au moins on se l'approprie, se prenant à penser que cette musique est faite pour exprimer ce que l'on ressent on plus profond de soi. Et on l'aime d'autant plus.(liability)