Au petit jeu de la reprise rigolote, le tube de Gnarls Barkley, Crazy, a droit à tous les (dés)honneurs ces derniers mois. Parmi toutes celles repérées sur le Net, la version qu'en a donnée l'Américain Ray LaMontagne est de loin la plus digne, tout entière centrée sur la voix féline et joliment soul de ce jeune songwriter. Si cette reprise ne figure pas au générique de Till the Sun Turns Black, deuxième album de Ray, il y a néanmoins dans cette collection de chansons au classicisme posé matière à user du superlatif. Pour ceux qui avaient déjà succombé aux charmes surannés de son premier album, Trouble, sorti en 2004 (il ressort cet automne sur une major), ce nouvel essai sonnera d'ailleurs comme une évidence. Il suffit d'écouter pour cela Can I Stay ou Till the Sun Turns Black, deux ballades soul taillées dans le bois le plus pur, serties de cordes à faire pleurer le redneck qui sommeille en chacun de nous. Car Ray a un atout : sa voix, au pathos insensé, qui évoque parfois le timbre rauque de Van Morrison et à d'autres moments celui plus aérien de Tim Buckley. Qu'elles soient blues (You Can Bring Me Flowers), funk (Three More Days) ou pop (le splendide Be Here Now), les chansons de Till the Sun Turns Black, parfaitement produites par Ethan Johns, sont un bel anachronisme. Ben Harper doit en être terriblement jaloux.(Inrocks)
Son premier album, "Trouble", avait recueilli bien plus de louanges qu’il n’en aurait mérité (passé les deux premiers morceaux, on s’ennuyait ferme), celui-ci sort dans une royale indifférence. La vie (la promotion ?) est mal faite. Ne vous fiez pas au visage christique et au regard de hippie en pleine descente d’acide arborés au revers de la pochette, ce disque est noir : "Barfly", avec sa rythmique syncopée et son solo de guitare à la manière de Steve Cropper, donne le ton, suivi immédiatement par "Three More Days", où Lamontagne lâche un peu le tempo en donnant à la chanson un arôme de madeleine Stax. Ailleurs, Brother Ray, parfaitement secondé par un Ethan Johns particulièrement inspiré, partage sa douleur dans des titres atmosphériques à coloration très soul (le pauvre chante comme Sam Cooke, il n’y peut pas grand-chose) et touche au sublime sur "Be Here Now" (couplet presque guilleret, refrain d’une noirceur absolue), ou avec le tricot de guitare qui tisse la superbe ballade "Gone Away from Me" ou l’inattendu break de flûte qui couronne "You Can Bring Me Flowers". Alors, certes, "Till the Sun Turns Black" frise parfois le mélodramatique, sonne par moments comme l’iPod de Ray Lamontagne en version shuffle (Van Morrison puis Otis Redding suivis de Nick Drake) et ressemble plus à un album d’arrangeur que de compositeur - Ethan Johns y a semé suffisamment de cordes pour donner envie de se pendre et le songwriting de Lamontagne, bien que plus abouti, ne lui inspire pas encore assez confiance pour qu’il lui lâche totalement la bride. Mais la frange médiatico-people qui s’est entichée de Thomas Dybdahl peut d’ores et déjà inscrire le Norvégien pour la prochaine campagne de pêche à la morue au large des îles Lofoten : Ray Lamontagne fait la même chose – en mille fois mieux, c’est sa culture.(Popnews)