2019 aura plus que jamais été l’année de Suzane. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 126 dates partout en France et dans le monde, des premières parties pour des artistes prestigieux comme M ou Feder, plusieurs reportages consacrés à la chanteuse… Suzane a séduit par son énergie débordante et son enthousiasme contagieux partout où elle est passée. Le tout, avec un seul EP de 4 titres et quelques singles dans la besace. J’appelle ça baiser le game en roue arrière, chapeau l’artiste.
Et 2020 ne devrait pas lui résister non plus, avec de très nombreuses dates et un Olympia en point d’orgue pour la fin de l’année, une nomination aux Victoires de la Musique catégorie « révélation scène », mais aussi et surtout un premier album, Toï Toï, fraîchement sorti ce vendredi 24 janvier. De quoi voir un peu mieux ce que cette bête de scène originaire d’Avignon a dans le ventre.
On y retrouve sans trop de surprises ce qui avait fait le succès des chansons du premier EP : des véritables tranches de vie inspirées du quotidien de la chanteuse, mis en musique sur des rythmiques très dansantes à grand renfort d’electropop et de refrains efficaces. Mais ce qui rend Suzane unique, c’est avant tout le contraste saisissant entre ses productions et paroles résolument modernes, et son style vocal rendant hommage aux grands chansonniers francophones des années 40-50 (pensez Piaf, Brel, Delyle…). Et mine de rien, dans un paysage musical populaire de plus en plus standardisé et peu tourné vers cette période déjà lointaine, cette prise de position musicale est assez rafraîchissante.
Suzane aborde de nombreux thèmes directement issus de sa vie quotidienne et de son passé de serveuse parisienne, qu’on pourrait classer en deux groupes : des thèmes engagés inspirés des débats de société actuels (écologie, sexualité, harcèlement…) et des thèmes plus légers, sur lesquels M. et Mme. Tout-le-monde pourront se reconnaître (réseaux sociaux, régime, procrastination…). La chanteuse aime raconter des histoires, et son talent de narratrice rayonne dans des morceaux comme SLT et P’tit gars, qui traitent des difficiles sujets du harcèlement sexuel et du coming out. Ces textes, racontés à la troisième personne, nous plongent avec beaucoup de violence et de justesse dans la peau de personnages souffrant de ces situations et de l’incompréhension qui en résultent malheureusement trop souvent.
Si certaines chansons font mouche, le principal point faible de Toï Toï vient de son côté extrêmement prévisible. Mises à part certaines chansons plus intimes et lentes, la plupart des 14 chansons qui composent cet album utilise la même recette, de sorte qu’on sait par avance exactement à quelle sauce l’artiste Avignonnaise va nous cuisiner. Les progressions mélodique et lyrique, aussi rafraîchissantes soient-elles aux premières écoutes, finissent par s’essouffler. Musicalement, on tourne en rond, et les morceaux deviennent rapidement des parodies d’eux-mêmes.
Les personnages et thèmes utilisés par Suzane font penser aux BDs pour enfants Martine, et on pourrait facilement caricaturer cet album en associant chaque morceau à un titre de Martine :
- Monsieur Pomme: Martine découvre Instagram
- La Flemme: Martine découvre Netflix
- Le potin: Martine aime bitcher sur cette grosse pute de Sylvie de la compta
- Pas beaux: Martine replonge dans la boulimie après 3 semaines de weightwatchers
- Plus vite que ça: Martine n’aime pas ces enculés de parisiens et la ligne 13 en heure de pointe
- Madame Ademi: Martine est quand même sacrément chiante
C’est donc un album attachant mais limité que nous propose Suzane sur Toï Toï. Toutefois, si vous avez apprécié les chansons du premier EP et que vous n’êtes pas aussi snob que moi, vous y trouverez allègrement votre compte. Taillé pour le festival et le live, Toï Toï reste un objet musical étonnant dans le paysage musical français de 2020, et devrait encore un peu plus accélérer l’ascension fulgurante de Suzane.
- En quelques mots : Martine fait de la musique
- Coups de cœur : L’insatisfait, P’tit gars, Novembre
- Coups de mou : Il est où le SAV ?, Plus vite que ça, Anouchka
- Coups de pute : Pas beaux, Madame Ademi
- Note finale : 6