A force de voir le ciel lui tomber sur la tête (tragédies familiales en cascade, dépression, coeur brisé…), E, la tête pensante d’Eels, a longtemps préféré se planquer derrière la première lettre de son nom, ou derrière une impressionnante barbe qui lui vaut régulièrement d’être arrêté pour suspicion de terrorisme. Pourtant, la seule activité dangereuse de Mark Oliver Everett est son songwriting dévastateur, autant capable d’explosions rock éraillées que de délicates comptines à l’humour grinçant. On le retrouve étonnamment radieux sur Tomorrow Morning, un nouveau départ qui respire l’espoir béat et la cicatrisation. Entamé il y a un peu plus d’un an avec le carnassier Hombre lobo, suivi cet hiver du naufrage sentimental End Times, le triptyque s’achève sur un happy end, avec une pochette rose pâle ornée d’un cerisier en fleur et des titres de chansons en overdose de morphine (le merveilleux Oh So Lovely ; Baby Loves Me ; l’intro In Gratitude for This Magnificent Day). “Un jour, on se dit que c’est la fin du monde et puis, le lendemain matin, on s’aperçoit que ça peut s’arranger, explique E. Ça aurait été drôle de mettre des titres aussi positifs sur des chansons tristes mais, cette fois, il faut les prendre au premier degré.” A l’inverse de l’ambiance dépouillée de la deuxième partie de la trilogie, cet orfèvre, digne des maîtres Tom Waits et Randy Newman, renoue avec son inventivité dans des orchestrations à la fois simples (boîte à rythmes, synthé basique, modestes ritournelles) et complexes – il n’est pas donné à tout le monde de réussir à créer une ambiance de cocon chaleureux à partir de ce genre d’electro Emmaüs. En apparence, ça va donc mieux, merci. Mais en creusant un peu, on remarque un ver dans la pomme – la peur que tout cela soit trop beau pour être vrai. Ephémère ou durable, cette euphorie aura en tout cas fait mentir l’adage selon lequel les artistes heureux n’ont rien à raconter. (inrocks)
S’enthousiasmer pour Eels a été difficile ces dernières années. Non que la carrière de Mark Everett subissait de lourds revers, mais chacun de ses disques commençait invariablement à ressembler à un chapelet de promesses déçues. Fort d’une triplette magique signée en quelques petites années – Beautiful Freak (1996), Electro-Shock Blues (1998) et Daisy Of The Galaxies (2000) –, le Californien s’est ensuite cherché, se lançant un temps dans le rock balourd. Puis il est devenu barbu, a brouillé les pistes, pour enfin revenir récemment à une finesse d’écriture plus en adéquation avec son talent. Pourtant, aucun de ces derniers albums n’a pu remettre la main sur la flamme mélancolique qui ornait ses premières œuvres. L’intention y était, mais il manquait toujours cette douceur amère qui avait fait de lui l’un des plus attachants songwriters de la fin des années 90. Paru en début d’année, End Times plombait le constat, plus sombre que jamais et ne prenant même plus la peine de masquer son désespoir de son ironie mordante. Glaçant. Ce nouvel LP, outre sa parution très rapide, est une divine surprise et fait figure de renaissance. On ne sait par quel miracle l’Américain a pu retrouver en si peu de temps une telle envie d’avancer, mais le constat est là. Tomorrow Morning est un disque primesautier et printanier, qui bidouille de nouveau de l’électronique (This Is Where It Gets Good), accueille enfin une ballade digne de Randy Newman (I’m Hummmingbird) et, plus important que tout, voit Mark Everett signer sa plus belle collection de compositions depuis des lustres. (magic)