Cannibal beauty
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Under the Skin est une œuvre inclassable. Viscéral et iconique, c’est un lambeau de peau qui se déchire et dissout son visage aliéné sur l’autel de la flamme sacrificielle. Jonathan Glazer offre avec Under the Skin un spectacle rare, sortant des sentiers battus, qui se place entre l’esthétique fragmentaire d’un Philippe Grandrieux et un film horrifique charnel digne d’un David Cronenberg.
Se rajoute à cela, l’introspection cinématographique d’une actrice qui se met à nu comme jamais, une Scarlett Johansson envoûtée et envoûtante, incarnant alors une alien essayant de défraîchir son humanité. Mais dans cet orgasme visuel, se cache un autre monstre, une hypnose tentaculaire qui pompe le sang jusqu’à la dernière goutte. Son nom est Mica Levi : une jeune artiste britannique, compositrice presque inconnue, qui avec Under the Skin, éclabousse le cinéma de son talent par le biais de ses convulsions sonores miraculeuses (« Love »).
Rares sont les bandes originales qui collent à la peau, qui vous enfouissent dans une telle immersion scénique qu’il devient difficile de s’en dépêtrer. Après le visionnage d’Under The Skin, aucun autre score musical n’aurait pu mieux symboliser le film. La partition de Mica Levi, qui ressemble à du These New Puritans, est le parfait miroir du métrage de Jonathan Glazer : un objet artistique aussi organique que psychotique, qui caresse autant les courbes aguicheuses de son actrice qu’elle n’interprète la conscience même de son personnage. Davantage que ces mélodies cryptiques, c’est l’opacité dans laquelle on s’enfonce qui fait tout le charme de cette bande son marquante.
Tout comme Under the Skin, Mica Levi imprègne sa création de deux versants bien distincts : là où Glazer agence sa dualité entre l’extraterrestre et l’humain, la musicienne mélange les instruments à cordes (violons) et musicalité expérimentale. C’est alors que ces deux composites ne vont faire qu’un, s’interpénétrer et suggérer la dimension pessimiste d’une œuvre fantastique.
Mais au lieu de décrire uniquement les sentiments d’un protagoniste, qui passe de l’état de prédateur à celle de proie, Mica Levi crée un organisme, presque vivant, qui assimile avec exactitude l’environnement singulier développé par Jonathan Glazer : celui d’une Écosse périphérique et forestière qui entrave ses routes d’entités damnées, de spectres polymorphes, d’où l’atmosphère pesante qui découle des menaçantes percussions rappelant alors le drone imposant d’artiste tel que ThisQuietArmy (« Bothy »).
Se rajoute à ce cosmos musical, un sentiment de solitude et de désolation, macabre et puissant, qui tapisse toutes les sonorités de cette tracklist : cette impression du tonnerre qui tombe du ciel ou du sol qui se dérobe sous nos pieds. Avec cette empreinte maléfique, Mica Levi désosse le squelette de tout un film, pour mieux le rénover et le dessiner à sa guise, comme si elle était le Dr Frankenstein. C’est un euphémisme de dire que Mica Levi signe là une composition magistrale, qui aurait pu s’avérer ordinaire mais qui détient sa propre personnalité.
Ses créations pourraient être comparées à celles de Cliff Martinez sur la série The Knick ou de Disasterpeace sur It Follows, mais Mica Levi est beaucoup plus singulière dans ses projections, indépendante dans ses tonalités DIY. C’est en ce sens qu’Under the Skin fait partie de ces œuvres qui se regardent et se comprennent par la seule formule du symbole : là où l’art sensoriel autant visuel qu’auditif s’achemine vers la perfection.
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le 10 oct. 2016
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