Paru en 1972, Uomo di Pezza est le troisième album de Le Orme et connaît un grand succès en Italie à sa sortie. Les premiers accords d'orgue donnent le ton : nous avons affaire à une oeuvre grave, profonde et ambitieuse.
Pas forcément facile d'entrer dans leur univers, moins chaleureux que celui de Premiata Forneria Marconi ou de Banco del Mutuo Soccorso, mais tout aussi lyrique. Ce lyrisme-là est un peu fatigué, si bien que sur "Gioco Di Bimba" les instruments se reposent un moment pour laisser les instruments s'exprimer a capella. Ailleurs ("Figure di Cartone" notamment), ce sont des synthétiseurs un peu avant-gardistes pour l'époque qui se chargent du dynamisme, toujours aidés par une batterie à l'affût des progressions.
Lorsque les orgues ecclésiastiques se pointent sur "La Porta Chiusa", c'est une magnifique prise de tête. On a l'impression que l'enjeu de l'album, s'il y en a un - c'est parfois un peu frustrant de ne pas comprendre l'italien car les paroles pourraient nous aiguiller - est grand et périlleux. En tout cas, ce morceau est une véritable réussite qui permet de s'évader vers des horizons inattendus. Il confirme accessoirement que les guitares ne sont pas un instrument indispensable dans le rock progressif, lorsque les claviéristes sont doués.
Le dernier morceau "Alienazione" est un drôle de spécimen, pouvant en dérouter voire révulser plus d'un. C'est puissant, complet, radical dans son étrangeté. L'idée d'aliénation est magnifiquement retranscrite par le pouvoir du rock. Cela semble anticiper le King Crimson apocalyptique de Red, voire même le King Crimson tortueux de Discipline - y compris dans les instruments grésillants, les boucles sans fin, les ruptures chaotiques.