Si l’on ne craignait ni les raccourcis, ni les stéréotypes, on pourrait généraliser en disant de DEUS qu’il représente, depuis presque quinze ans et son Worst Case Scenario, mieux que n’importe quel autre groupe, le rock tel qu’on le façonne en Europe continentale : plus souvent avec le bulbe qu’avec les bras, avec le cerveau qu’avec les guitares. On opposerait ainsi la belle et longue carrière du groupe de Tom Barman aux plus traditionnels et souvent éphémères parcours anglo-saxons, la fougue et la jeunesse d’outre-Manche à l’écriture savante et rare des Belges. Pourtant, aussi singulière fût-elle, la troupe de Tom Barman n’a pas échappé aux épreuves classiques que rencontrent forcément un jour les groupes anglo-saxons – disputes, remises en question, séparations –, elle a frôlé l’implosion à l’automne 2004, quelques années après la sortie de ce qui reste pour beaucoup son chef-d’oeuvre, The Ideal Crash. Il aura fallu un concert, et un album, Pocket Revolution, pour que dEUS voie sa formation profondément bouleversée et s’offre une belle et bienheureuse renaissance. “C’est le concert à La Cigale qui nous a sauvés. Deux jours plus tôt, je voulais tout arrêter. Et puis soudain, l’énergie est réapparue, nous étions de retour. Avant ça, il y avait eu des périodes dans dEUS où je perdais beaucoup d’énergie à gérer des choses, des personnages, des egos. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase très stable avec le groupe, et le virus, le microbe presque, de création est revenu chez moi. Nous avons eu envie de travailler vite, le plus spontanément possible. Nous avons enregistré dans notre propre studio pendant huit semaines, ce qui n’est rien comparé aux autres albums.”Conséquence directe de cette énergie retrouvée, Vantage Point, second album de la deuxième vie des Belges, semble au final avoir été conçu pour les amplis et la scène – progression qui paraîtra logique à quiconque a déjà vu le groupe en concert et sait combien dEUS peut se transformer en véritable machine à danser. “Lorsque je faisais les set-lists de la tournée de Pocket Revolution, je m’énervais chaque soir parce que je trouvais qu’on n’avait pas assez de morceaux “qui foncent”. Aujourd’hui, c’est l’inverse, je suis bien embêté pour faire la liste parce qu’on a l’embarras du choix. Le but, cette fois-ci, c’était “pan, pan, pan”. Je voulais un disque compact, dix morceaux rentre-dedans, des chansons qui tuent.” Et la fusillade commence dès le premier titre, un When She Comes down groovy et capiteux, pareil à un vol d’hirondelles avant l’orage, une inquiétante série de vaguelettes avant un possible tsunami. La tempête arrive vite d’ailleurs, avec un Oh Your God fanatique, puis ce qui constitue sans doute le morceau le plus accrocheur que dEUS ait composé à ce jour, le single The Architect. Titre qui semble moins destiné à construire qu’à casser la baraque – une vigueur qu’on doit sans doute au producteur du disque Dave McKracken (déjà aperçu aux côtés de Faithless ou de Depeche Mode). “Il y a toujours eu, chez dEUS, un côté dansant, remuant même. J’adore danser, je fais du sport aussi, de la voile, du ski. J’adore la musique physique parce que c’est la plus intéressante à jouer en live. Ma référence, c’était Prince, l’album Parade. Ce n’était pas forcément pour la musique mais pour la démarche : il était attendu au tournant et il a fait ce disque très court, mais où tu trouves du rock, de la pop, des ballades et surtout du fun.” Or si Vantage Point permet à dEUS de remuer ses gambettes avec entrain, il offre aussi à Tom Barman le support idéal pour déployer ses qualités d’orateur : beaucoup des morceaux sont récités, déclamés plus que chantés – et on n’est pas du tout surpris d’apprendre le sérieux penchant du chanteur pour le hiphop. “J’ai beaucoup écouté le Wu-Tang Clan, Public Enemy, A Tribe Called Quest. J’adore les mots. Celui qui m’a donné cette inspiration, c’est probablement Gainsbourg. Puis dans les années 90, ça a été l’idée selon laquelle “the white man can rap”. J’aime pouvoir raconter des choses, oser les discours, lorsque je me retrouve face à un public.” Un franc-parler et un amour du verbe qui n’empêchent pas dEUS de soigner les mélodies et d’offrir par ailleurs deux belles ballades : Eternal Woman, d’une part, partagée avec Karin Dreijer Andersson, chanteuse de The Knife, et qu’on jurerait chantée par Damon Albarn les quinze premières secondes, puis la délicate Smokers Reflect, qui pourrait bien être la plus jolie romance du prochain album de Coldplay et qui renoue avec l’écriture aérienne, réfléchie et cérébrale des débuts du groupe. “On nous reproche souvent d’être trop sérieux sur les photos. Mais de mon côté, s’il y a bien une chose que je déteste, ce sont les clowns. Par ailleurs les groupes avec une façade sérieuse sont au final souvent les groupes les plus cochons, les plus marrants. Je n’ai aucun problème avec le côté intellectuel de dEUS, tout simplement parce que j’ai toujours pensé que le cerveau était l’organe le plus sexy du monde." (Inrocks)
Tom Barman souhaitait un disque plus extraverti. Il l’est, sans heureusement perdre de son charme au profit de l’efficacité. Ainsi, When She Comes Down, qui offre à dEUS un son encore plus cinémascopique que d’habitude, repose sur une voix sensuellement soufflée, des guitares réverbérées et un refrain assuré. Ainsi, Oh Your God repose sur une attaque quasi stoogienne, tandis que le refrain s’étend majestueusement et que la voix prend le ton d’un talking blues enflammé. La ballade Eternal Woman bénéficie également de ce traitement spatial, ajoutant des cordes et invitant la voix de Karin Drejer Anderson (The Knife). L’autre duo voit Tom Barman doubler sa voix avec celle de Guy Garvey (Elbow) pour une marche épique. Le son de dEUS, totalement maîtrisé, joue subtilement avec les dynamiques, et si l’album est clairement conçu pour être joué dans de grands espaces, il réussit souvent à préserver des qualités d’intimité grâce au chant de Tom Barman. L’un des meilleurs exemples figure le mélancolique Smokers Reflect à qui d’aucuns reprocheront un pont au piano évocateur de l’univers de Coldplay. Bien sûr, il y a des exceptions, comme le bravache et peu intimiste The Architect, qui rappelle l’esprit du blues azimuté de Captain Beefheart tout en étant sexy et dansant. Et Vantage Point s’achève sur Popular Culture aux chœurs d’enfants extatiques, un titre qui pourrait être l’œuvre d’un chanteur des seventies comme Randy Newman. Depuis son retour en 2005, avec l’album Pocket Revolution, le groupe flamand cherche consciemment ou non à marier l’excentricité virtuosité de ses débuts avec les formes les plus classiques de la pop. Après avoir été le Pavement du plat pays, dEUS est devenu The Bad Seeds d’Anvers. Il y a pire comme parcours. (Magic)
Depuis la sortie de "Worst Case Scenario" en 1994 et du chef-d'oeuvre "Ideal Crash" en 1999, deux albums qui auront durablement changé la face du rock belge et international, toute sortie d'un album de Deus est attendue avec une impatience non feinte de la part de leurs nombreux fans et de la presse musicale. Pourtant l'histoire de "Vantage Point" était à la base mal embarquée, une sombre histoire d'interviews payantes imposées par le label ayant provoqué une bordée de contestations au sein des rédactions des médias nationaux qui pour la plupart soutenaient avec ferveur le groupe anversois depuis le début de leur aventure.Malgré cette péripétie malheureuse, dEUS se présente trois ans après le déjà controversé "Pocket Revolution". Tom Barman choisit d'enregistrer dans son propre studio et s'entoure du mème line-up, ce qui n'est pas un mince exploit quand on sait à quel point le Maestro aime changer de personnel. Arrive alors la malheureuse erreur de casting : le groupe porte son dévolu, derrière les manettes, sur Dave McKracken. Le multi référencé producteur de Depeche Mode et Faithless ne saura jamais comment cerner le monstre dEUS. L'album est surproduit, désavantagés par ce qui aurait dû être son point fort. Trop d'effets inutiles, de choeurs monochordes, de vocaux poussifs, de claviers, trop de tout au final, ce qui étouffe dans l'œuf certaines bonnes chansons. Au rayon des bonnes surprises, The Architect, premier single tranchant, puissant, avec un texte d'humour glacial digne du plus grand dEUS, Eternal Woman, merveilleuse ballade qui prouve à quel point Tom Barman est un brillant chanteur, Smokers Reflect, un bon titre accompagné par l'écho d'un piano ou encore Popular Culture, un peu gâché par des chœurs enfantins irritants, qui termine toutefois en beauté le moyen "Vantage Point". Reste que pour l'instant, il faut voir la réalité en face et savoir tirer les conclusions du moment, aussi désagréables soient-elles. dEUS se boursoufle, s'embourgeoise et commence à se faire sérieusement malmener par la concurrence. Le temps ou dEUS était le petit frère flamand de Pavement est révolu. Heureusement, il reste de façon éparse de grandes chansons. Des fulgurances qui nous forcent à croire que tout n'est pas perdu pour un des groupes majeurs de la scène européenne. (indiepoprock)