Ventura
7.2
Ventura

Album de Anderson Paak (2019)

De manière générale, il est assez surprenant de se dire que Oxnard, le dernier album en date d'Anderson .Paak, est sorti il n'y a que quelques mois, en novembre 2018. Mais une fois que l'on a écouté Ventura, le quatrième opus de l'artiste californien qu'il vient de révéler, il paraît presque impensable de se dire que ce projet n’arrive seulement que quelques mois après un autre dont l'élaboration avait pris deux ans.


Oxnard voyait Anderson .Paak revenir à ses racines hip-hop, mettant de côté la soul-funk-R&B psychédélique qui l'a fait connaître pour rendre hommage à la musique sur laquelle il a grandi. En soi, cet album était une évolution tout à fait logique pour le protégé de Dr Dre, notamment lorsqu’on prend en considération son projet collaboratif avec le producteur Knxwledge, Yes Lawd! (2017). Si les quelques singles que Paak avait révélés avant la sortie de son troisième opus étaient très très bons et annonçaient une palette sonore tout droit venue des années 90, Oxnard, sans une seconde être mauvais, a été pour moi une déception. Oui, Anderson .Paak est un excellent rappeur. Oui, cet album renferme quelques uns des meilleurs morceaux de la carrière de l'artiste américain ("Bubblin’", "Who R U?", “Trippy”). Et oui, c'est extrêmement bien produit. Mais le disque était malgré tout cela fade et manquait du piment et de l'originalité qui faisait d'un album d'Anderson .Paak ... et bien, un album d'Anderson .Paak !


Flashforward en mai 2019. L'interprète de "Room in Here" dévoile seulement six mois après la sortie d'Oxnard son quatrième album, Ventura, un retour en forme glorieux. Préférant la qualité à la quantité cette fois-ci, Anderson .Paak offre onze pistes qui révèlent un travail extrêmement riche et varié, mélangeant de la façon la plus ingénieuse possible des influences différentes dans une explosion de joie et d'euphorie. Ventura prend presque des airs de "best of" tellement celui-ci apparaît comme le condensé de tout ce qui a fait le carrière d'Anderson .Paak à ce jour, tout en continuant à s’aventurer vers des horizons musicaux complètement nouveaux pour le chanteur californien, telle que la disco !


Il suffit de jeter un coup d'oeil à la liste des pistes qui constituent cet album et surtout celles des artistes qui apparaissent en "featuring" pour constater de l'étendue des influences musicales qui peuplent Ventura. On retrouve André 3000 - décidément très en forme cette année - sur la piste d'ouverture, "Come Home", la légende de la Motown Smokey Robinson sur "Make It Better", la chanteuse R&B-soul et "fille de" Lalah Hathaway, la diva et auteure-compositrice surdouée - et pourtant bien discrète ces derniers temps - Jazmine Sullivan, la prometteuse Sonaye Elise vacillant entre R&B et hip-hop, la beaucoup trop sous-estimée princesse du R&B des années 90 et 2000 Brandy, et enfin le défunt roi de la G-funk, Nate Dogg. Oui, juste ça.


C'est donc un véritable patchwork de genres musicaux que nous propose Anderson .Paak à travers son quatrième album. Le pari n'est jamais facile à prendre parce-que même si cela est toujours très alléchant de mélanger pleins de styles sur un même disque, cela se révèle souvent être un véritable fiasco. Mais pas ici, car les influences sont mélangées de façon très ingénieuse et l'album est véritablement bien construit, ce qui permet de faire de Ventura un travail à la fois très varié et qui ne se répète jamais, mais pourtant aussi très cohésif.


Afin de bien faire comprendre que nous changeons complètement d'univers suite au très 90s Oxnard, Anderson .Paak ouvre son nouveau disque avec deux titres qui semblent être tout droit sortis de l'ère de la Motown, donc des années 70. "Come Home" a ce côté onirique et cinématique qui en fait d'emblée une excellente piste d'ouverture - en plus de comporter un couplet d'André 3000 histoire de bien avoir notre attention dès le premier titre - et "Make It Better" est une réussite sur tous les niveaux. Non seulement la production est parfaite, mélangeant l'influence Motown avec un R&B plus contemporain planant à souhait, mais la façon dont le chanteur livre ses paroles à travers son flow mélodique unique transforme la chanson en un tube d'une autre époque. La collaboration avec Smokey Robinson est elle aussi parfaite car non seulement "Make It Better" peut apparaître comme un hommage au légendaire leader des Miracles, mais l'alchimie est là et c'est ... magique, parce-qu'en réalité tellement rare ! Je ne peux même pas citer d'exemples où une collaboration entre un jeune artiste et un vétéran du genre fonctionne aussi bien. Il y en a sûrement, mais bon ... vous m'avez compris ! “Make It Better” est une dose de douceur magnifique.


Pour rester dans les années 70, Anderson .Paak enchaîne soudainement avec "Reachin' 2 Much", un double morceau au son disco complètement assumé et totalement inattendu. Le résultat est euphorique et fonctionne, une nouvelle fois, parfaitement. Cette influence disco vient flirter, plus loin sur l'album, avec d'autres inspirations musicales. Sur "Chosen One", Anderson .Paak mélange disco, R&B et une légère influence de New Jack Swing pour créer un autre morceau inattendu et très léger sur lequel le rappeur démontre son flow joueur et accrocheur. Avec "Jet Black", Anderson .Paak et Brandy signent le tube de l’album - mais encore une fois, un tube d'une autre époque. Mais ce coup-ci, difficile de dire laquelle ! Il y a bien toujours une claire influence disco sur cette chanson, mais de nombreux éléments semblent situer ce "tube" dans les années 90 ou au début des années 2000 (que ce soit l'intro jouée par un piano distant ou le flow très rythmé du protégé de Dr Dre). L'élément clé de "Jet Black" est peut-être bien la voix de Brandy, à la fois douce et à la puissance très "soul", qui tout en nous donnant envie de danser et de tout oublier nous remplit directement de nostalgie et nous ramène à une époque où les artistes de R&B féminines étaient partout et célébrées par tous.


Du R&B issu de toutes les décennies, de la soul, de la Motown et même de la disco ! Ne manque-t-il pas un petit quelque chose à ce Ventura pour que ce soit véritablement un album d'Anderson .Paak ? Oui, du hip-hop ! Et si j'avais pu critiquer une uniformité un peu trop soutenue entre les différentes pistes qui constituaient Oxnard, le hip-hop "old school" que nous offre le membre de NxWorries sur son quatrième album solo est glorieux et surprend à chaque fois ! Sur "Winners Circle", Anderson .Paak, plus joueur que jamais, clame "This is not some super conventional / Extra slick talk meant to convince you all". Et en effet, rien n'est conventionnel sur Ventura et surtout pas son interprète ! Il incorpore des éléments 70s sur "Winners Circle", comme une flûte très Motown qui permet de faire lien entre les premières pistes de l'album et celles à venir, il rend hommage à ses idoles engagées sur “King James” (LeBron James bien sûr, mais aussi Colin Kaepernick) et il fait d'une production de Pharrell Williams la sienne sur "Twilight". Nous retrouvons bien évidemment tous les éléments qui font la signature de l'ex-Neptune mais il est très facile d'oublier qu'il s'agit de son travail ici tellement la personnalité d'Anderson .Paak prend le pas dessus - et c'est franchement pas facile à faire !


Enfin, le chanteur-rappeur-batteur-producteur-compositeur - wow ! - originaire d'Oxnard collabore de façon post-mortem avec Nate Dogg. Et si ce type de duos a généralement de quoi faire grincer des dents, Anderson .Paak et ses producteurs réalisent quelque chose complètement ahurissant sur "What Can We Do?". L'alchimie entre Paak et le légendaire rappeur fonctionne tellement bien - et je ne sais franchement pas comment ils ont fait ça, juste l'outro parlée est absolument incroyable et je ne mâche pas mes mots - qu'on oublie presque que Nate Dogg n'est plus des nôtres. Et en voyant son nom sur la tracklist de l'album, on se dit "oh, l'influence G-funk va être forte". Et oui, elle y est ... mais pas tant que ça ! Nous sentons tous types d'influences sur ce morceau : de la G-funk, de la funk tout court, du R&B et de la soul. Même le refrain chanté par Nate Dogg a quelque chose de presque disco. L'influence 90s est là, mais il y a aussi quelque chose de très années 70 par rapport à cette chanson, qui me rappelle d’ailleurs les bandes-sons de films de blaxploitation, mais aussi de très contemporain. Bref, encore une fois c'est un tube d'une autre époque mais difficile de dire laquelle.


Si on voulait résumer Ventura en quelques mots, on dirait sûrement "génial" si l'on souhaite être simple. Sinon, "varié" ou "surprenant" seraient d'autres bons termes pour qualifier cet album. "Intemporel" fonctionne parfaitement, car c'est tout à fait ce qu'il se passe quand Anderson .Paak mélange pleins d'influences musicales caractéristiques de certaines décennies ensemble et se fait se rencontrer sur un même album Smokey Robinson, Nate Dogg et Brandy. Mais moi, je dirais plutôt "yes lawd", cette phrase remplie d'optimisme que l'artiste californien balance à toutes les sauces en guise de célébration. Car Ventura, c'est une célébration. Littéralement, dans les textes d'Anderson .Paak qui célèbre sa femme et ses enfants et rend hommage à ses idoles. Mais c'est avant tout une célébration de la musique qui a bercé le musicien tout au long de sa vie et de sa carrière - sujet qu'il évoque d'ailleurs sur "Yada Yada", une célébration de ses débuts difficiles.


Ventura est une célébration, Ventura est nostalgique, Ventura est intemporel, Ventura est une dose d'euphorie qui est toujours la bienvenue. Bref, sans aucun doute à mes yeux, Ventura est le meilleur album d'Anderson .Paak à ce jour car c'est un condensé de ce qu'il fait de mieux et ce qui fait de lui un artiste véritablement unique dans le paysage hip-hop et R&B actuel. Yes lawd !


Key tracks : "Make It Better", "Jet Black" & "What Can We Do?"

killyourdarlings
9

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Créée

le 11 mai 2019

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Keith Morrison

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