"Welcome to my Nightmare" marque la naissance de la carrière d'Alice Cooper en solo. Jusqu'à présent Alice Cooper était bel et bien le nom d'un groupe, mais après de brillants adieux avec "Muscle of Love", l'heure est à la séparation ; trop d'ego, trop de tensions et un peu de lassitude aussi.
Alice Cooper s'entoure de hautes pointures pour son émancipation : le producteur Bob Ezrin, les guitaristes Dick Wagner et Steve Hunter et même Vincent Price ! Ainsi escorté, il se lance dans une aventure très personnelle, celle d'un cabaret cauchemardesque, une comédie musicale sanglante, un concept album teinté d'imaginaire enfantin et de violence conjugale (et conjuguée).


Du rock des albums précédents, Alice Copper garde quelques bases qu'il mèle à des influences plus pop, plus abordables, parfois même carrément douces, peut-être pour mieux imposer des thèmes particulièrement sombres, sordides même, mais teintés d'un humour irresistible. L'album est une plongée dans l'imaginaire torturé d'un certain Steven, personnage qui hantera régulièrement la discographie d'Alice Cooper, un personnage franchement dérangé, coincé dans une apparente innocence enfantine qui peine à dissimuler sa véritable nature de tueur psychotique.
L'auditeur est donc convié au long de l'album à traverser les différents tableaux qui composent ce cauchemar, pièces disparates d'horreur grotesque pourtant reliées par une trame dramatique. Le morceau titre est un superbe lever de rideau, révélant un cauchemar aux accents de Broadway où Alice Cooper/Steven sera un maître de cérémonie en smoking et haut-de-forme que nous aurons plaisir à suivre. Entre rock et feu d'artifice, l'ouverture nous emmène jusqu'au "Devil's Food", toujours spectaculaire mais déjà plus menaçant. On sent venir une tension sous jacente, quelque chose que peine à dissimuler ces paillettes et ces couleurs chatoyantes.
Invité de luxe, Vincent Price déclame son amour pour la veuve noire en introduction du morceau judicieusement nommé "The Black Widow", hard-rock aux riffs tourbillonnants et hypnotiques qui nous plongent plus loin dans cette terrible nuit.

Alice/Steven se fait à présent meneur d'une revue squelettique avec "Some Folks", dévoilant de façon entraînante et dansante quelques obsessions particulièrement déviantes et morbides. On se prend à se laisser emmener volontiers dans cette joyeuse composition où nous apprenons que le sympathique Steven a une drôle de conception du plaisir et des relations de couple, incluant la violence physique non consentie.


"Only Women Bleed", superbe et émouvante ballade vient préciser les choses. Derrière une voix méconnaissable, maîtrisée à merveille et touchante, Alice évoque le drame d'une femme sauvagement et régulièrement battue par son mari alcoolique. Notre cher Steven se révèle donc sous son véritable jour, passant de victime malheureuse d'un cauchemar atroce, au rôle de bourreau et finalement de meurtrier. Rassurons nous, ça ne va pas s'arrêter là. A noter que la chanson en soi est une pure merveille, un classique qui sera d'ailleurs repris par Tina Turner, en toute logique, ne connaissant que trop bien le sujet.
"Department of Youth" marque une rupture dans l'ambiance, plus rock et plus enthousiaste, renouant avec le thème de la jeunesse rebelle cher à Alice Cooper. On y note la mention de Donny Osmond, des Osmond Brothers, symbole tout à fait opposé à la rebellion puisqu'il s'agissait d'un groupe très populaire de jeunes chanteurs mormons (un genre de Jonas Brothers de l'époque en gros).


"Cold Ethyl" reprend les choses là où Steven les a laissées : dans le frigo. Chanson d'amour d'un genre rare, sur un rythme rock à tendances glam, entraînant et même enjoué, "Cold Ethyl" est un hymne réjouissant à la nécrophilie (et un hommage à Ethel Merman en prime). Steven nous révèle ainsi son petit secret, les charmes méconnus d'un cadavre bien frais. Il s'agit là de quelque chose de typique chez Alice Cooper, les thématiques les plus sordides sont alliées à un humour jouant sur l'équivoque et le double sens. On découvre d'ailleurs tout au long de cet album de véritables talents d'auteur et une écriture plus subtile qu'on le croit de la part d'un chanteur souvent réduit à son décorum grand-guignol.


La suite "Years Ago/Steven/The Awekening" constitue le dénouement de cet album. Finie l'allégresse du cauchemar maîtrise, maintenant arrive le glissement vers la folie. Au bout de cette nuit infernale on arrive à un dénouement en beauté (sombre) à la hauteur de nos attentes. L'heure la plus noire avant le lever du soleil. Balotté entre sa monstruosité d'adulte et le petit garçon terrifié qu'il était, Steven pleurniche, cajole, négocie avec lui même, enfoncé au plus noir de son cauchemar. L'interprétation d'Alice Cooper est brillante, vibrante de sincérité dans ce personnage dont il endosse le rôle avec conviction. On devine dans les deux premiers morceaux, les tourments qui l'habitent, merveilleusement portés par la musique, d'abord comptine sinistre et musique de manège de chevaux de bois sur "Years Ago", puis grandiloquante explosion opéra rock avec le morceau "Steven". "The Awakening" est un faux happy-end, réponse au morceau d'ouverture faussement festif, où Steven suit les traces de sang jusqu'à la réalité, se demandant si oui ou non elle est plus enviable au cauchemar. Heureusement que l'alcool finit par lui donner les moyens de s'en relever sur un "Escape" aussi joyeux que ses paroles sont atroces !


"Welcome to my Nightmare" est une réussite sur de nombreux points. Commercialement Alice Cooper s'en sortira très bien , la critique sera plutôt positive et le personnage entrera définitivement dans l'imaginaire collectif. Musicalement, l'album est un festival de genres transcendés par l'humour noir d'un artiste à l'inventivité et à l'intelligence trop souvent sous estimée. Le chanteur prend le temps de révéler certaines facettes que sa carrière jusque là n'avait permis que d'entrevoir. Son chant y est plus maîtrisé que jamais, les compositions hétéroclites s'intègrent parfaitement au concept général et c'est bel et bien d'un coup d'essai changé en chef d'oeuvre incontournable qu'il s'agit.

I-Reverend

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