"Ce qui arrive après le blues" ? Joli titre ça, auquel on peut répondre : la dépression nerveuse ou le rock'n'roll, suivant ce qu'on entend par coup de blues. Parfois même le rock'n'roll et la dépression, comme chez Jason Molina, en vacances de sa maison-mère Songs: Ohia. Un groupe étrange, démarré comme caniche fidèle et respectueux des canons folk dépressifs établis par Will Oldham, pour peu à peu se transformer en chien sauvage, errant dans les bas-côtés d'un rock américain ébouriffé, plouc et salement électrique (de Creedence au Crazy Horse). Poussé au vice par Steve Albini (Nirvana, PJ Harvey, Dionysos') à la production, Molina abandonne, musicalement, toute revendication arty avec son nouveau groupe, pour jouer avec hargne et hébétude un rock des campagnes droguées, aussi rugueux et agité que ses paroles demeurent étrangement raffinées, belles et étranges comme une intégrale de Faulkner sur les étagères d'une caravane white-trash. En 2005, le vrai rock sudiste, paysan et littéraire, poète et hors-la-loi, avec moustache, ceinturon et tignasse, c'est Magnolia Electric Co : pas ces petites gonzesses manucurées de Kings of Leon.(Inrocks)
C'est à l'état de quasi-macchabée que l'on avait laissé Jason Molina, à l'issue du sépulcral The Pyramid Electric Co., album solo impressionnant de nudité, fortement déconseillé aux âmes sensibles. Ce fut probablement une étape nécessaire pour quitter l'enveloppe Songs: Ohia avant de se réincarner en Magnolia Electric Co., dont la profession de foi inaugurale et en public fut injustement décriée en ces pages. Trials & Errors comme ce What Comes After The Blues s'ouvrent par The Dark Don't Hide It, quasiment le meilleur morceau de Neil Young depuis I Am The Ocean (Mirror Ball, 1995). On pourra reprocher à Jason Molina de sortir un disque un chouia mou du gland, pépère et prévisible. Mais on sait déjà qu'après son prochain concert parisien, en juin, on criera son génie absolu sur tous les toits pendant au moins trois semaines. Car Molina n'est pas le genre de type qui déçoit sans raison. Et au bout de quelques écoutes, la déception n'est que relative. On jugera l'homme sur pièce à l'aune d'une oeuvre monochrome, mais plus riche qu'elle n'y paraît. Revenons donc à The Night Shift Lullaby, ritournelle illuminée par la voix de Jennie Benford en écho du chant de sirène rustique d'Emmylou Harris, ou encore la confession bouleversante de Leave The City, déjà entendue sur Trials & Errors, illuminée par une trompette qu'on imaginerait plus volontiers chez nos amis Herman Düne et avec des paroles de cette trempe : "Broke my heart to leave the city/I mean it broke what was not broken already", tout est dit. Lorsque Molina chante dès la suivante "It was hard to love a man like you", on a envie de lui répondre qu'effectivement, c'était dur de s'attacher à lui, mais qu'on a enfin compris ce qu'il est en train de construire. Du coup, on scrutera toujours son oeuvre avec passion. Ce disque produit par Steve Albini n'en manque pas. L'oeuvre de Neil Young non plus. (Magic)