Faudra-t-il attendre vingt ans et des rééditions dans des formats qui n'existent pas encore, avec inédits et livret opulent, où les stars d'alors avoueront être venues à la musique à cause de ses chansons magiques, pour enfin mesurer la grâce et la richesse du songwriter de Fife ? Pour l'instant, malheureusement, destin des génies à reconnaisance tardive, ce sont surtout ses pairs qui évoquent avec le plus de ferveur James Yorkston, de Radiohead à Vashti Bunyan. On ne voit décemment pas ce que le jeune écossais pourrait faire de plus que la beauté immaculée de B's Jig et The Capture Of The Horse ou la ferveur ahurissante de Midnight Feast, reprise possédée de la folkeuse méconnue Lal Waterson, pour s'imposer dans un monde qui, de Devendra Banhart à Matt Costa, a choisi comme BO bio un folk nettement moins riche et inspiré. On tombe rarement amoureux d'une guitare en bois, mais on partirait bien en vacances, loin de tout, avec celle de Yorkston, éloquente, élégante, radieuse, si belle quand elle plisse, soucieuse, le front, en un air mélancolique mais doux, paisible, jamais triste. Car comme chez Nick Drake, le (parfois trop évident) parrain de cette pop pâle, Yorkston fait du spleen un cocon voluptueux, un canapé mœlleux, une ambassade écossaise du happy-sad cher à Tim Buckley. Producteur de ce trésor d'inventivité et de raffinement, Yorkston reçoit avec un sourire radieux et des prodiges d'hospitalité, à des années-lumières de l'austérité et du recueillement de tant d'albums folk aimables comme une porte de monastère. Son groupe, qui a mystérieusement disparu à l'occasion de cet opulent quatrième album, s'appelait The Athletes. Comme si la broderie d'or, le point de croix et la dentelle étaient disciplines olympiques. (Inrocks)
On est bien embêté lorsqu’il faut chroniquer un nouvel album de James Yorkston parce qu’en fin de compte, depuis Moving Up Country (2002), l’animal nous sort à chaque fois peu ou prou le même disque. Et l’ennui, c’est que c’est un très chouette disque. Et puis, côté arguments, on n’est pas aidé : le gars ne paie pas de mine, vissé sur son tabouret, tricotant ses sempiternels arpèges à l’ancienne, plafonnant à 70 BPM dans les passages nerveux, fredonnant tout bas des airs tristes comme une rediffusion de Maigret, alignant des références sibyllines au patrimoine local (celui de l’East Neuk Of Fife si vous aimez la géographie), sirotant un vieux whisky ou sifflotant une chanson de marins. En synthèse : pas facile à vendre en dehors des clubs de fumeurs de pipe et des militants du CNPT (Chasse Pêche Nature Tradition). Contentons-nous donc de signaler que, pour la quatrième fois, Yorkston nous livre un recueil de ballades acoustiques délicates et mélancoliques. Et que pour la quatrième fois, on succombe à ce singulier mélange de raffinement et de sincérité. Pour la quatrième fois, on aimerait vous convaincre qu’il y a chez ce songwriter écossais une justesse, une profondeur qui valent bien qu’on consacre à cette nouvelle sortie une grande partie des soirées de l’hiver à venir, qu’on s’immerge dans Tortoise Regrets Hare, petit bijou d’amertume feutrée et de poésie naturaliste (“La tortue regrette le lièvre/Le renard s’empare du lièvre”). Accompagné par ses fidèles Athletes et un vaste cortège d’arrangements fleuris (clarinette, bouzouki, timpani, mandolines, concertina, vibraphone…), James Yorkston continue donc son parcours, imperméable aux modes, étranger aux lois du marché, tel une balise immuable et rassurante. Et pour la quatrième fois, on se demande pourquoi, après tout, on ne se mettrait pas à fumer la pipe.(Magic)
Si les Inuits ont soi-disant à leur disposition plus d'une centaine de mots pour désigner la neige, alors les Ecossais doivent en avoir également un certain nombre pour désigner ce que nous appelons paresseusement le brouillard. Le (brouill-)haar qu'évoque le titre du nouvel album de James Yorkston, c'est une fine brume qui monte au printemps de la Mer du Nord vers les terres orientales de l'Ecosse, par exemple le comté de Fife, dont est originaire le songwriter. L'image est évocatrice et conviendra naturellement à la musique de l'Ecossais.La voix de James, douce, grave, un sur un ton mi-parlé, mi-chanté - on se demande même parfois s'il n'est pas un peu ivre, tiens -, semble nous chuchoter dans le creux de l'oreille, comme sur le morceau-titre. La musique de l'Ecossais provoque une douce torpeur contemplative : pas de révolution sonore ou de branle-bas de combat sur ce disque - les derniers exploits soniques de son compère Kenny Anderson sur le dernier King Creosote sont loin. Aux risques de la redite en moins bien, qu'il n'avait pas totalement contournés avec "The Year of the Leopard", Yorkston a donc répliqué par un pas supplémentaire vers le raffinement ultime, le souci du détail, de l'imbrication des strates fines d'instruments autour de sa voix et de ses textes tragico-mélancoliques. C'est bien beau, mais cela ne suffirait pas s'il n'y avait pas en contrepoint les mélodies en tortillons qui s'agrippent comme une clématite sur le tronc moussu de la musique. Pour être honnête, ça ne marche pas à tous les coups - "When the Haar Rolls In", le morceau-titre, bénédiction ou pensum selon l'humeur qui prévaut lors de son écoute - mais quand ça marche, ça marche magnifiquement : l'étoilé "B's Jig", l'obsessionnel "Tortoise Regrets Hare" et sa très efficace voix doublée, "Temptation", "Queen of Spain", peut-être un peu appuyé celui-là, "Summer's Not the Same Without You" basique mais à pleurer, ou encore, "Midnight Feast", une reprise dont le refrain dramatique prend aux tripes et sort agréablement du ronron. Avec ce très bel album, Yorkston continue donc son petit bonhomme de chemin, certes à un train de sénateur. Mais rien ne sert de courir...(Popnews)