S’il est bien un artiste pour lequel je voue une admiration sans borne, c’est bien Mark Lanegan. Petit retour en arrière, et je vous préviens, je vais vous raconter ma vie. C’est en 2004 que j’ai découvert le Mark. Je devais avoir 16 ans et ma culture musicale naviguait entre nu-metal bien commercial et vieux classiques du genre Pink Floyd ou Led Zeppelin. Jusqu’à que je découvre les Queens Of The Stone Age. J’ai adoré, et j’ai creusé, d’abord du coté de Kyuss, et toute la scène de Palm Desert, ce qui m’a amené à ma grande passion pour le stoner.
Mais j’avais remarqué ce type bizarre, mystérieux, dont je n’avais absolument jamais entendu parler et qui me foutait les chocottes avec sa voix rocailleuse sur les deux ou trois titres qu’il interprétait sur Song For The Deaf. J’ai commencé par acheter son album le plus récent, l’incroyable Bubblegum sorti la même année. C’était encore mieux que je ne l’espérais. Puis j’en ai voulu plus. J’ai d’abord traîné à la Fnac et chez Virgin, je n’ai rien trouvé à part I’ll Take Care Of You, un très bon disque de reprise, que je conseille au passage. Mais sinon, absolument rien. Les vendeurs, que naïvement je pensais hyper calés, ne voyait pas qui était ce type chelou dont je leur parlais. Et puis, chez un disquaire, (feu Rennes Musique pour ceux qui connaissent) je suis tombé sur ce Whiskey For The Holy Ghost. Je ne le savais pas encore, mais j’avais trouvé le disque parfait, celui qui allait changé ma vie. Je suis fan de Mark Lanegan comme d’aucun autre artiste, je suis fan de tout ce qu’il à fait jusqu’à Bubblegum, mais si je ne devais en choisir qu’un, ce serait celui-là, pour un nombre infini de raisons, la plupart n’étant pas très rationnelles.
Le titre déjà, absolument génial, Whiskey For The Holy Ghost, parfaitement en accord avec la pochette. Le ton est donné, le décor planté. Un bar miteux, enfumé, où les paumés viendrait descendre des verres de scotch. A l’époque, c’est à dire en 1993, Mark Lanegan n’a pas encore trente ans, mais sa voix est déjà reconnaissable entre mille, témoignant d’un parcours cabossé. Sur son premier essai trois ans plus tôt, The Winding Sheet, les compositions n’étaient pas toutes renversantes, loin de là, on sent que le Mark tatonnait, ici la qualité des morceaux est stupéfiante. N’importe laquelle des treize chansons qui composent le disque est un bijou de folk. Il suffit d’écouter “Kingdoms Of rain”, morceau d’une beauté stupéfiante où la voix du ténébreux Mark se mêle à celle d’une femme, ou bien “Dead On You”, folk song égrainée sur une guitare tandis qu’un orgue se fait entendre en arrière plan. Et que dire de ces morceaux un peu plus emportés que sont “Carnival”, ou “Pendulum”. Je pourrais donner n’importe lequel des morceaux comme preuve de l’excellence de l’album. Mais si il ne fallait une nouvelle fois en garder qu’un seul, ce serait “El Borracho”. Jamais auparavant je n’avais entendu une chose pareil. Mark Lanegan semble se débattre, se démener, avant de tout lâcher au moment des refrains, et de partir dans des envolées terrifiantes, ou se mêle pour l’auditeur le désir de hurler avec lui ainsi que l’envie de se cacher, effrayé par tant de rage et de noirceur. J’ai beau l’avoir écouté des centaines de fois, j’ai toujours les poils qui se dressent quand le guitares s’emballent et que Mark Lanegan se déchaîne.
Je m’étais interrogé il y a quelques temps sur la notion de danger dans un disque. Whiskey For The Holy Ghost est un disque terriblement dangereux. Pas comme un disque de black-metal, de grind ou je ne sais quoi, non, mais de manière plus insidieuse, plus intime, qui traverse la chair pour aller chercher nos angoisses les plus profondes, qui réveille des émotions enfouies. Écouter ce disque un jour de pluie est sûrement l’une des expériences les plus intenses que je puisse ressentir, mais assez paradoxalement aussi, un immense bonheur que je puis décrire.