Le dernier album de PJ Harvey, le sec et brutal Uh huh her, s'achevait sur deux titres magnifiques, d'une douceur ex-trême, au parfum de résilience, comme une indication de la direction que la radicale Anglaise allait emprunter par la suite. White Chalk confirme cette impression avec sa suite de chansons nues sur lesquelles Harvey s'expose dans toute sa vulnérabilité. Un peu comme à ses débuts, sur Dry. Sauf qu'à l'époque la rockeuse épineuse s'accompagnait de sa guitare électrique acérée, obligeant sa voix à se faire entendre. Ici, point de boucan à affronter. Juste un piano, quelques notes de guitare acoustique ou de harpe. Du coup, Polly Jean se cherche une nouvelle voix : retenue, fragile, souvent à la limite de la justesse. Comme pour mieux exprimer ce désarroi qui lui sert de moteur et la taraude plus que jamais. White Chalk, conçu autour du thème du manque, de la perte, du regret (d'un parent, d'un enfant à naître, d'une autre vie), n'est pas un album facile d'accès. Sauf qu'avec la rigoureuse Harvey on est habitué. Chacun de ses disques a dérouté en se distinguant de son prédécesseur, sans jamais briser la cohérence et la progression d'une oeuvre intense. « Ne me reprochez pas le vide de mon existence », implore-t-elle sur Broken Harp. Toujours ce doute. Angoisse personnelle ou défi au jugement des autres d'une musicienne frondeuse, déterminée et courageuse, qui a choisi, pour le meilleur et pour le pire, sa voie. « Quel intérêt de sortir encore des disques s'ils ne proposent pas quelque chose de radicalement différent ? » a-t-elle un jour déclaré. On ne peut que respecter plus encore cette jeune femme déterminée à demeurer en accord avec ses idées. HC
Quinze ans après avoir introduit la guitare-rasoir à six lames et ce chant de muqueuses enflammées qui constituaient Dry, son premier album, PJ Harvey est à nouveau vierge. Blanche comme la craie (White Chalk), mais toujours aussi coupante et dépolie que l’ardoise. Composé quasi intégralement au piano – instrument qu’elle touchait ici pour la première fois –, ce neuvième album ne repose pas uniquement sur ces histoires d’outillage et de baptême, mais il leur doit une grande part de sa beauté à la fois farouche et solennelle. Autant son prédécesseur Uh Huh Her était raide et ingrat, autant celui-ci est vallonné et charmeur, malgré une approche pas des plus tranquilles. Drôle de sensation notamment sur l’introductif The Devil, sa cadence martiale et son chant de cristal fêlé, au passage duquel on boit sa honte d’avoir songé un instant à Mylène Farmer. Cet effroi vite réprouvé, Dear Darkness, avec la belle voix de Jim White (Dirty Three), expose plus nettement les arguments sensibles et sensitifs de ce court album (trente-quatre minutes) essentiellement constitué de ballades – attention, pas de promenades. Magnifié par la production toute en matières explosées de Flood et de l’inamovible John Parish, White Chalk a beau se dispenser d’électricité, son intensité n’en reste pas moins palpable, d’autant que les hésitations du piano en renforcent le caractère indocile. PJ Harvey ne s’est pas subitement transformée en Carole King et son écriture refuse toujours l’orthodoxie en empruntant des déviations personnelles, d’où cette impression de monument chancelant qui accompagne chaque morceau. Car ce disque, à écouter dans un rapport exclusif, se révèle l’une des expériences les plus monumentales que l’on puisse vivre avec deux oreilles et peu de passion au milieu. Polly la revêche n’a jamais si bien chanté, presque apaisée de ne pas avoir à se saigner les cordes, rappelant au détour d’une intonation ses glorieuses aïeules du folk anglais, les Bridget St. John, Vashti Bunyan ou Ann Briggs. Malgré ce vague écho, et quelques points de rattachement (Kate Bush ?), White Chalk s’avère une œuvre unique d’une fille unique – qui sur l’instant s’élève à des niveaux où personne ne viendra la déloger cette année. Et avant bien longtemps. (Inrocks)
Les enseignants familiers des tableaux noirs et les serveurs chargés d’inscrire le menu du jour sur leur ardoise pourront vous le certifier : la craie blanche (White Chalk) s’efface d’un simple coup de chiffon. C’est donc assez logiquement que Polly Jean Harvey a choisi d’associer cette substance évocatrice d’écrits éphémères à ce septième album en forme de palinodie, où l’Anglaise semble se plaire à gommer soigneusement toute trace de ses œuvres préalables. Sans doute gagnée par une certaine lassitude et désireuse d’éviter toute forme de routine incompatible avec la haute idée qu’elle se fait de son art, l’ex-rockeuse abandonne ses guitares pour s’asseoir posément derrière un piano tout neuf, débranche tous ses fusibles pour mieux s’écouter chanter, et impose à sa voix une métamorphose saisissante, contorsionnant ses cordes vocales pour atteindre des hauteurs inhabituelles. Un virage à 180°, aussi audacieux que déconcertant qui la rend presque méconnaissable, malgré la présence derrière les consoles de ses complices habituels (Flood, John Parish). Avec une sincérité indéniable, PJ Harvey parvient ainsi à provoquer un effet de surprise que l’on n’avait sans doute plus éprouvé depuis le choc ressenti lors des premières écoutes de Dry (1992) : même impression de contempler l’exposition de plaies à vif, même fascination pour cette capacité à s’écorcher sans complaisance. Et bien qu’il semble bien difficile de juger à chaud de la qualité intrinsèque de cet album de transition, sans connaître la suite du parcours, on ne peut que saluer ce trait d’audace artistique et cette capacité à la remise en question radicale du confort et des habitudes installées. (Magic)
PJ Harvey aime changer de personnage d'un disque à l'autre. Même si "White Chalk" a été enregistré à Londres, elle semble s'être inspirée cette fois du romantisme de la campagne anglaise. Et à la première écoute, c'est l'étonnement qui domine. Les fans seront peut-être déçus mais pour les autres c'est au contraire une redécouverte des possibilités de la chanteuse, étouffées par certains disques précédents dont le pénible "Uh Huh Her". Loin du cliché rock'n'roll, PJ Harvey pénètre des territoires parfois abordés auparavant ("Electric Light", "The Garden" sur "Is this Desire") mais jamais explorés aussi profondément.La voix, toujours très présente dans les disques de PJ Harvey, est le fil conducteur de "White Chalk". Ici, elle s'est transformée. Toute en aigus, elle trouve une nouvelle vie dans des accents éthérés et fragiles. Car, comme le souligne "When Under Ether", le disque baigne dans une atmosphère vaporeuse presque féerique. PJ Harvey joue "Wuthering Heights" dans son Dorset natal. Des arrangements aux sonorités médiévales (le refrain de "Dear Darkness", "White Chalk"), de nouveaux instruments (le piano remplaçant la guitare, la harpe, le banjo), des chœurs angéliques (le pont de "Grow Grow Grow" entre autres), des ondulations rythmiques ("The Piano", la valse de "Before Departure") créent un écrin fantasmagorique à l'album.
Tout est travaillé très précisément, chaque seconde est comptée et le disque trouve une réelle originalité et une homogénéité rares. En trente-quatre minutes, il montre une nécessité bienfaisante en ces temps de sorties pléthoriques souvent trop longues et imparfaites. Il est presque austère, telle la photo de la pochette où la chanteuse siège en robe blanche et longue. S'il y a du Björk dans "Broken Harp" par exemple, c'est la similitude avec l'univers de Kate Bush qui frappe et surprend : des thématiques semblables, le piano si présent, les chœurs et superpositions de voix, les refrains tortueux, les déviations impromptues et expérimentales et les cris primitifs. Car PJ reste quand même PJ et se lâche dans "The Piano" ("Oh God I miss you" incantatoire) et à la toute fin de l'album, dans "The Mountain", habité et terminé dans une sorte de transe. Cependant, la pythie Harvey se sera bien retenue tout au long du disque, s'éloignant des tics et expérimentant une musique anachronique. Cet album n'est peut-être qu'un bref intermède dans sa discographie, mais son folk dépouillé et mystérieux s'apprête à hanter nos nuits pour longtemps.(Popnews)
On sait depuis bien longtemps que PJ Harvey fait partie des artistes capables de se réinventer à chaque album. On sait également qu'elle n'avait pas apprécié qu'on la soupçonne d'être plus "légère" à l'époque de l'euphorique "Stories From The City, Stories From The Sea" ; "Uh Huh Her" avait déjà apporté la preuve qu'on n'allait pas l'y reprendre de sitôt. Ces indices étaient-ils à même de nous préparer à ce "White Chalk" ? Pas vraiment. "White Chalk" est un album où l'on n'entend pas une note de guitare, hormis quelques accords sur le morceau titre, d'ailleurs vite relayés par un banjo et un harmonica, pour une belle divagation onirique et mélancolique. L'ensemble de l'album a été composé au piano, ce qui est en soi une révolution pour PJ Harvey. Mais la mutation ne se cantonne pas à cet aspect, car si Dear Darkness et Before Departure sont deux superbes ballades intimistes qui méritent tous les louanges, elles ne sont néanmoins pas représentatives de l'ensemble de l'album. Si tel avait été le cas, on aurait certainement eu droit à un très bel album, mais surtout à un exercice de style assez classique et répertorié, celui de l'album introspectif au piano. Or cet album échappe à toute tentative de classification. A la fois inquiétant de par les thèmes évoqués (l'angoisse, la perte), et en cela fidèle à l'oeuvre de PJ Harvey, "White Chalk" remplae la tension et la violence de ses albums précédents par un spleen moderne, à la fois charmeur et poisseux, sentiments éprouvés sur When Under Ether ou Grow Grow Grow, où le piano ne sert plus que de base instrumentale. Le seul terme possible alors pour décrire ce que l'on entend est celui d'élévation.Sur la majorité des morceaux, la voix de PJ Harvey tranche également avec ce qu'on connaissait d'elle, prenant une intonation fragile et cristalline, notamment sur The Devil ou The Mountain. L'instrumentation se révèle variée mais promulguée par petites touches, sans ostentation, ce qui fait de "White Chalk" une oeuvre extrêmement mature et pourtant aussi immédiate qu'un premier album. On parle souvent de nouveau départ lorsqu'un groupe ou un artiste remet les cartes sur la tables et part dans une direction inédite. PJ Harvey, elle, ne se refait rien de moins qu'une nouvelle virginité. (indiepoprock)