Une radio grésillante, des changements de station, une guitare acoustique, loin, répétant inlassablement les mêmes accords - puis, à l'avant plan, sur l'autre canal, une seconde guitare s'ébroue, et elles jouent toutes les deux en parallèle, se cherchent, tentent d'engager un dialogue, hésitent, tâtonnent ...
... jusqu'à l'instant, miracle de la musique, où elles finissent par se trouver dans une explosion sonore :
http://www.youtube.com/watch?v=TK6tL9uutgE
Et le texte surgit presque simultanément, peut-être le plus beau jamais écrit par waters - avec l'ombre absente de Syd Barrett (présente plutôt, à la façon d'une ombre) - avec une interpellation qui ne trouvera pas d'échos à travers les mots qui n'ont pas le pouvoir de la musique, des échos dans les sonorités, qui ne renvoient qu'à eux-mêmes :
So, so you think you can tell
Heaven from hell
Blue skies from pain
Can you tell a green field
Fron a cold steel rail
A smile from a veil Do you think you can tell
Ainsi, ainsi tu penses que tu peux extraire / Le paradis de l'enfer / Le ciel bleu de la douleur / Est-ce que tu peux tirer une verte prairie / D'un rail d'acier froid / un sourire d'un voile / est-ce que tu y crois ?
La plus belle réussite est peut-être le titre du morceau - et de l'album hommage. Le passé marqué par "were" (la seule équivalence du subjonctif en anglais) interdit tout retour en arrière. On ne peut pas souhaiter ce qui est achevé - "Je souhaite que tu aies été là ? ? ? "
La langue résiste.
Le retour est impossible.
Et la seule traduction possible est une manière de trahison - où l'espoir a disparu :
"Je regrette ton absence ".
Et la fin du texte, plus belle encore, survient comme un constat d'une grande tristesse :
How I wish, how I wish you were here
We're just two lost souls
Swimming in a fish bowl
Year after year
Running over the same old ground
What have we found ?
The same old fears
Wish you were here ...
Comme je regrette, comme je regrette ton absence / Nous étions deux âmes égarées / Pataugeant dans un bocal / année après année / Courant sur la même vieille terre / Qu'avons nous-trouvé ? / Les mêmes vieilles peurs / Je regrette ton absence ...
Barrett ne reviendra pas. Et on sent déjà que la schizophrénie de The Wall est en marche. Waters dialoguera désormais avec lui-même.
Quant à l'interprétation de Gilmour, ce qu'elle a de plus extraordinaire (et cela vaut pour tous les titres qu'il interprète), c'est que des dizaines d'années plus tard, le son, la voix sont parfaitement identiques à l'enregistrement d'origine :
http://www.youtube.com/watch?v=3j8mr-gcgoI
Cette idée, assez magistrale, de la tentative de communication à travers la musique, quand les autres médias ne fonctionnent plus (et qui du reste est la caractéristique de toutes les rencontres musicales improvisées, de tous les boeufs) apparaît dans de nombreux morceaux.
En voici deux, particulièrement remarquables :
"A Band with no name" de Ten years after, deux guitares, morceau acoustique, totalement décalé, sans lien aucun avec la discographie du groupe; on peut songer, comme dans la vidéo qui suit à un décor de western. Pour ma part j'y entends, j'y vois plutôt, sans savoir pourquoi, des images médiévales ...
http://www.youtube.com/watch?v=zwORquFA46s
Et enfin, d'évidence, le duel culte de Delivrance, banjo et guitar finalement mêlés dans un tourbillon de notes :
https://www.youtube.com/watch?v=1tqxzWdKKu8
La preuve définitive de la supériorité de la musique sur le mot ...