Archie Shepp & Joachim Kühn - Wo ! Man
Il y a une actualité pour cet album sorti en 2011, il est en effet paru sur support vinyle très récemment, l’occasion de se pencher à nouveau sur ce très bel enregistrement. Déjà la superbe pochette prend une nouvelle ampleur grâce au format vinyle et les dessins de Wozniak y sont mis en valeur comme ils le méritent.
Je ne m’attarde pas sur les duettistes, Shepp et Joachim Kühn sont deux musiciens qu’il n’y a plus à présenter, sinon souligner cette jeunesse qui les anime, l’un comme l’autre. Ça s’ouvre sur « Transmitting » une composition de Joachim toute en rythme qui permet à Shepp de développer l’ampleur de ce « son » qui lui est propre, la pièce est très structurée avec un thème accrocheur. Shepp répond ensuite avec une ballade « Nina », il les aime, ces pièces un peu paresseuses qui se prélassent au soleil, avec un zeste de Brésil et de bossa, propices à de longs solos qu’il nourrit du flot de ses notes qui se chevauchent pour former un long serpentin.
On reste côté Shepp face B, avec « Drivin’ Miss Daisy », une récréation avec un petit aspect ludique, mais ça monte en intensité avec « Sketch » une impro signée par les deux qui se cherchent, entre ballade et blues, l’un scrutant l’autre, Kühn dessinant une texture dans laquelle Shepp s’accroche côté déchirure. Mais lors de son solo le piano reprend la main et glisse dans l’expressivité un peu romantique, que Shepp prolonge en ajoutant une très grande fragilité, dentelle au pays du bleu…
Face C, on explore les standards, dont Shepp est un grand interprète et le prouve immédiatement avec cette reprise de « Harlem Nocturne » de Earle Hagen et Dick Rogers dont il s’empare avec une maestria sublime dès l’exposé du thème, il est à son affaire et trouve les sonorités les plus déchirantes, un des sommets ici.
On reste en altitude avec la reprise de « Lonely Woman » d’Ornette Coleman, Joachim Kühn en prend toute la mesure et se hisse tout là-haut, sur le toit, et le dispute en lyrisme avec le funambule Shepp qui danse sur son fil, un duo aérien les yeux dirigés vers les étoiles.
Arrive la face D et « Segue » signée par le duo, une poursuite où les deux courent, se rattrapent, se cherchent, se trouvent et repartent encore… Pour finir, l’hommage inévitable envers le Duke que Shepp vénère, ce sera « Sophisticated Lady », une énième version de la part du saxophoniste, différente et singulière, en partage avec Joachim, comme on le fait d’un bon vin, entre amis.