Wyllt
7.4
Wyllt

Album de Black Math Horseman (2009)

Souvenez-vous...

Souvenez-vous d'un temps où le rock n'était pas envahi d'une pseudo scène « indépendante », formée de hordes de porteurs de chemises à carreaux et lunettes cerclées, portant leur attitude pseudo-ironique, un cynisme vain et des ipods, méprisant n'importe quel groupe âgé de plus de deux semaines et jouant devant plus de douze personnes. Un temps où porter la barbe n'était pas un symbole de second degré de mauvais goût, mais bel et bien l'expression d'un immense j'men foutisme. Un temps où de faux prophètes ne venaient pas éructer leurs folk et soi-disant expérimentale (non mais franchement, Devandra Banhart quoi...) Un temps où le jean slim n'était même pas l'embryon d'une idée dans l'esprit de marketeux putassiers.

Un temps où le rock était crade, malsain, en sueur, suintant l'alcool frelaté par ses pores, vomissant sur le monde son imagerie paienne et sexuellement chargée. Bref, un temps où le rock pouvait foutre la trouille, et faire mouiller les filles.

Grâce au label Tee Pee, qui publie entre autres Ancestors, High on Fire, Sleep, Earthless -groupes très chaudement recommandés – et les célèbrissimes Brian Jonestown Massacre, Black Math Horseman sort en 2009, dans une indifférence assez générale et très triste, un album qui se permet de remettre les pendules à l'heure, et de réinjecter une bonne dose de poisseux dans un genre qui nous est cher.

Black Math Horseman, c'est un peu un résumé de 30 années de riffs bien crasseux mais ô combien bien placés, de martèlement de grosse caisse typique au hard/heavy des années 70 de recherches sur l'espace sonore fermement implantées depuis les années 2000 grâce à Isis et cie. On retrouve également des dynamiques chères au Krautrock (Deerslayer) que n'auraient pas reniées Can ou Faust, ainsi que la foutue envie d'en découdre chère au heavy (Torments of the metal). Quelques petites pincées de rock/metal progressif pour parachever l'ensemble viennent compléter ce tableau presque exhaustif de l'histoire du rock sombre et malsain (Birds of all faith and None)

Black Math Horseman trouve un équilibre subtil entre déploiement de leur son et efficacité, technicité et concision. Dés le premier morceau, on trouve cette volonté de ne jamais en faire trop, tout en exprimant sans concession une vision personnelle de la composition. Le martèlement initial de la section rythmique laisse place à quelques arpèges entremêlés, où la voix de la « douce » Sera Trimms vient se poser. A la limite de l'intelligible, éthérée, on pense immédiatement à Nico, où à Elizabeht Frazer des Cocteau Twins et d'Immortal Coil. Les reverb et effets utilisés font de cette voix un instrument à part entière, sachant aussi bien s'imposer, notamment sur le dernier morceau, où elle vient concurrencer PJ Harvey dans le registre borderline/proprement cinglée.

Le jeu des guitares se fait tantôt subtil, en arrière plan, tantôt bombastique, pour revenir à un calme lourd, pesant. La plupart de l'album est plutôt slow ou mid-tempo , les morceaux sont plombés et massifs, avec de brusques explosions, et on voit ici le rapport à Isis, dans cette idée de dynamiques minimales-maximales. Chaque note est à sa place, chaque effet a son espace propre, laissant augurer d'un sens de la composition remarquable. Black Math Horseman a une culture musicale assez étendue, et ils le montrent sans jamais plagier, se permettant même d'ajouter leur propre style au passage, phénomène rare pour un premier album.

Le résultat est une œuvre immédiatement familière, sans aucun sentiment de déjà-vu. On pourra peut-être reprocher au groupe de ne jamais prendre de risques, d'être parfois trop frileux quant à leurs explosions, rendant ainsi le milieu de l'album un tantinet mollasson, mais le dernier morceau magistral et épique vient réveiller l'auditeur et lui signifier que Black Math Horseman reste un animal sauvage prêt à vous bouffer la jugulaire et aller ensuite violer votre famille et leurs amis.
Sera Trimms fait preuve sur ce morceau d'une férocité assez impressionnante, sans jamais tomber dans le beuglement ou le growl. Maîtrise...


Pour résumer, Wyllt est un album sombre, lent, poisseux, sale, qui brasse avec brio (avec qui?) trente années de sueur et de riffs collants, de bière frelatée, de concerts miteux et de shows éclatants. Qui a dit que c'était du vrai rock? Qu'il soit remercié.
Quant aux petits péteux hipsters indie mes couilles mentionnés au début de l'article, qu'ils s'en aillent, qu'ils laissent cet album en paix, Black Math Horseman n'est pas compatible avec le port des chemises en flanelle. A écouter avec les couilles au cul, si j'ose dire. Chaudement recommandé.
eukaryot
7
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le 2 avr. 2012

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