Retour au jeu pour Valentin, un an après le très bon mais inégal Agartha, certifié disque de platine.
Fort d’un nouveau statut - surprenant, mais mérité - d’acteur majeur du rap français, le rappeur d’Aulnay-sous-Bois revient avec Xeu et affiche clairement de nouvelles ambitions.
Si Vald a toujours eu sa petite notoriété, avant même NQNT 2 et le buzz engendré par « Bonjour », il est clair qu’Agartha a été son principal accélérateur de carrière. En témoigne l’attente énorme engendrée par Xeu, le tout savamment orchestré par Vald.
Et c’est surtout ça qui frappe chez ce dernier : derrière une apparente désinvolture se cache un spécialiste de son époque, qui en connait tous les codes et ne laisse rien au hasard : « Le mélange a opéré, j’connais tous les procédés », clame t-il dans Possédé. Et force est de constater que le mélange semble bel et bien avoir opéré : Vald, malgré un univers hardcore et souvent en marge, a finalement conquis les charts sans respecter les règles du rap mainstream.
Avec Xeu pourtant, le rappeur semble mettre de l’ordre dans sa créativité pour livrer un album bien plus cohérent que ses précédents projets, tant musicalement que lyricalement. Moins de fioritures, plus d’homogénéité, mais également des punchlines parfois plus faciles qu’à l’accoutumée. La volonté de toucher un plus large public ? Probablement. Il déclarait d’ailleurs quelques mois plus tôt : « J’ai envie de me rapprocher d’un truc qui fédère encore plus […] Je pense qu’on est encore très « spé » aujourd’hui et ce que j’ai en tête c’est encore « spé » » (Interview SURL, 13 juillet 2017).
Et cette dernière phrase prend tout son sens à l’écoute de Xeu : Vald, malgré une volonté affichée de proposer un ensemble plus digeste et plus maitrisé, reste un rappeur à part, « spé », et ne sera sans doute jamais radio-friendly, à l’image de ce qu’à pu devenir Orelsan ces dernières années.
En voulant gommer les défauts d’Agartha, qui partait quelques fois dans des directions radicalement opposées, Vald risque également de perdre l’essence même de ce qui a forgé son succès : un flow rapide avec beaucoup de texte, des multi-syllabiques originales, une aisance technique, mais aussi et surtout des tracks conceptuelles reconnaissables entre milles.
Ici, exception faite à Dragon en feat avec Sofiane, peu de chansons surprennent autant que Strip ou Totem pouvaient surprendre.
Pourtant, même s’il livre son opus le moins « valdien », Valentin ne cède pas non plus à la tentation de l’easy-listening qui lui tendait les bras, et va même jusqu’à proposer son projet le plus sombre et le plus abouti de sa carrière.
Conçu à l’issue de l’Agartha Tour, Xeu dresse le constat d’un quotidien nouveau, d’une célébrité acquise mais bien moins jouissive qu’elle n’y parait. Vald y parle d’amour, de succès, de solitude. Au travers de plusieurs chansons, le rappeur laisse transparaitre une profonde nostalgie et un sentiment d’isolement palpable. Son récent éloignement du Patapouf Gang (Bifty, Julius) et de DJ Weedim y est sans doute pour quelque chose. La phase « On continue avec moins d’amis » (Résidus) leur est probablement dédiée.
Les textes sont riches, durs, lucides, et ne laisse pas beaucoup de place au second degré. C’est ici que le changement se fait le plus marquant avec Agartha : Vald semble avoir fait un choix entre ses tracks plus « conceptuelles » et ses chansons plus sérieuses au profit de la seconde option.
Le rappeur semble avoir pris la mesure de l’incroyable potentiel de lyriciste qui l’habite, tout en mettant à jour sa technique et son flow. Car autant dire les choses : Vald est probablement le rappeur français le plus technique à l’heure actuelle, et sa prise de niveau en un an est spectaculaire. Xeu n’y échappe pas, et propose un panel de flow variés et parfois inédits de la part du rappeur.
Encore une fois, si rien n’est laissé au hasard, c’est également le cas pour la tracklist, cohérente, réfléchie, et amenée à la perfection. C’est assez flagrant sur les deux morceaux qui clôturent l’album, l’excellent Deviens Génial aux sonorités mi-synthwave mi-EDM et le déjà connu Trophée. Dans Deviens Génial, Vald semble s’adresser à son fils en le prévenant de tous les vices qui l’attendent, le regard des autres, l’agissement par intérêt, ou le fait de devoir obligatoirement rentrer dans un moule pour satisfaire à l’exigence générale. Trophée a alors une résonance particulière lorsque le refrain arrive : « J’en ai trop fait, j’ai mon trophée ». Vald, si longtemps marginalisé, a finalement trouvé sa place dans le rap jeu, mais à quel prix ? Ses grands coups de buzz (Bonjour, Selfie, Shoote un Ministre, Eurotrap au Grand journal, etc), sa fanbase criant parfois trop facilement au génie ou sa notoriété ne le rendent pas plus heureux, et l’ont au contraire esseulé. Devenir génial, peut-être pas si génial au final.
De Xeu résulte dix-sept titres solides, quelques perles (Résidus, Réflexions basses, Deviens génial, Gris, Désaccordé) et quasiment aucun déchet. Mention spéciale à Seezy, très jeune beatmaker avant-gardiste ayant composé la quasi-totalité des sons du projet. Après plusieurs écoutes, l’album prend une autre dimension et se révèle encore plus sombre et dérangeant. Vald signe ici une oeuvre décomplexée mais complexe, à l’image de son géniteur.
Valentin est finalement à sa place, à mi-chemin entre entertaineur rigolo, rappeur talentueux et icône générationnelle encore bien trop sous-côtée.
Puisse Xeu nous ouvrir tous les yeux